Dossiers Musicologiques - Romantique

Puccini La Bohème

Puccini
C’est après avoir assisté à une représentation de Aïda de Verdi que Giacomo Puccini décida de se consacrer à la composition.
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Pilier du répertoire opératique italien, La Bohème de Puccini nous transporte dans le paris des années 1830. Hymne à la liberté, à la jeunesse et à l’amour, l’œuvre laisse planer un parfum de nostalgie et nous touche par sa sincérité de ton.

Au XIXe siècle, la Bohème est un thème dans l’air du temps mais qui recouvre plusieurs sens différents. D’une part, il désigne le territoire des bohémiens, c’est-à-dire des tziganes. Dans l’imaginaire collectif de l’époque, le bohémien est épris de liberté et vit de peu. D’autre part, le mot « bohème » se rattache au mode de vie des jeunes artistes à Paris dans les années 1830, vivant au jour le jour, sans le sou eux aussi, et tout aussi libres. C’est cette bohème qu’évoque Henry Murger dans ses Scènes de la vie de Bohème, un feuilleton publié entre 1845 et 1848 dans un journal parisien. Murger évoque le quotidien précaire et pittoresque de ces jeunes écrivains, peintres, comédiens et étudiants trompant la faim et le froid par leur espoir de briller un jour dans leurs arts et la joie d’être ensemble. Cette vie de bohème vient de l’évolution du statut de l’artiste au xixesiècle : il n’est plus sous la protection des nobles, mais travaille à son compte. De nombreux jeunes arrivent à la Capitale, aspirant à se faire remarquer par leur talent. 

Le thème de la bohème plaisait beaucoup à Puccini, qui y associait volontiers sa propre jeunesse et ses années au conservatoire où la sécurité matérielle manquait quelque peu. Puccini avait d’ailleurs créé un club avec ses amis, appelé « la bohème » et soumis à des réglementations humoristiques telles que « il est interdit de jouer aux cartes honnêtement ». Le compositeur basa son opéra sur l’œuvre de Murger et l’adaptation théâtrale qui avait été donnée au Théâtre des variétés en 1849. On y trouve les mêmes personnages : le musicien Schaunard, le poète Rodolfo, le peintre Marcello, le philosophe Colline, et deux rôles féminins, Mimi et Musetta. Celles-ci correspondent au type de la « grisette », une figure très présente dans la littérature romantique. Évoluant aux côtés des artistes bohèmes, la grisette est une jeune fille simple, peu instruite mais sentimentale et pleine de joie (le mot « grisette » désigne au départ les tissus gris et bon marché qu’elles portent). 

Ce furent les dramaturges Luigi Illica et Giuseppe Giacosa qui élaborèrent le livret de La Bohème de Puccini d’après les œuvres de Murger, entamant le travail en 1893. Rapidement des dissensions se firent sentir entre eux et le compositeur, qui exigeait de très nombreuses modifications. L’intervention de l’éditeur Ricordi permit heureusement au projet de continuer sa route. Les quatre tableaux dépeints par les librettistes permettent tous les contrastes d’atmosphères et de registres (fantaisie, humour, drame…), faisant écho aux contrastes de la langue elle-même (tournures élégantes et familières sont entremêlées). Deux couples opposés structurent l’histoire : d’un côté le couple tragique Mimi/Rodolfo, de l’autre un couple comique (mais jamais ridicule pour autant) Musetta/Marcello.

De la réalité à l’idéalisation

Se pose bien sûr la question du réalisme dans les scènes dépeintes par Murger puis Puccini. Il est certain que l’écrivain tente de témoigner d’une réalité de son temps. Il crée ses personnages en s’inspirant de personnes bien réelles (le compositeur Schanne devient Schaunard, Marcello est basé sur le peintre Tabar, et Murger se met lui-même en scène sous les traits de Rodolphe). Quant à Puccini, il se consacre à décrire pour la première fois à l’opéra une ville moderne, avec moult détails et des mentions précises de lieux comme le quartier latin, Montmartre, le café Momus… On y voit aussi différentes classes sociales : la bourgeoisie, le prolétariat et les populations marginalisées. Cependant, sans édulcorer la précarité matérielle de la situation des bohèmes, les deux artistes présentent une version essentiellement embellie de leur vie, nourrie par des rêves de liberté et la nostalgie des années de jeunesse. 

Avec la question du réalisme vient celle, encore plus épineuse, du vérisme. Ce mouvement artistique, apparu au xixe siècle et rattaché principalement à la musique et à la littérature, s’inspirait du naturalisme d’Émile Zola. Le milieu musical a connu bien des querelles pour définir si oui ou non La Bohèmerelevait d’une esthétique vériste. Il est clair que certains éléments réalistes évoqués plus hauts font pencher la balance en faveur d’une réponse positive, mais beaucoup d’autres renforcent l’idée inverse : l’idéalisme bien sûr, mais aussi la période décrite qui n’est pas tout à fait contemporaine de la composition de l’opéra (l'intrigue se déroule dans la première moitié du xixe siècle alors que l'opéra fut créé à la fin du siècle), et l’esprit général de l’ouvrage qui ne verse pas dans la critique sociale mais s’affirme avant tout comme une histoire d’amour.

Quelle que soit la réponse qu’on donne à cette question, La Bohème de Puccini devint rapidement l’une des œuvres les plus jouées du répertoire. À sa création le 1er février 1896 au Teatro Regio de Turin et sous la baguette du jeune Arturo Toscanini, le public ne lui réserva pourtant qu’un accueil tiède. Il fallut la reprise à Palerme pour que l’ouvrage de Puccini triomphe, faisant peu à peu oublier une autre Bohème composée à la même période par Ruggero Leoncavallo, et qui avait d'ailleurs engendré une brouille entre les deux compositeurs…

Élise Guignard

 

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