Beethoven Concertos pour piano
Contrairement aux symphonies, le concerto pour piano n’occupe qu’une quinzaine d’années de la vie de Beethoven. Si les premières œuvres trahissent encore l’influence de Mozart, le compositeur développe rapidement son propre langage musical.
Composés entre 1795 et 1809, les concertos pour piano de Beethoven adoptent une structure classique en trois mouvements : le premier de forme sonate (avec exposition d’orchestre puis exposition du soliste) ; le troisième de forme rondo (plus particulièrement rondo-sonate), forme légère privilégiée des finales à cette époque. Beethoven s’autorise plus de variété dans les mouvements lents : forme lied (Concertos n° 1, 3, 5), forme sonate sans développement (forme « lied-sonate », Concerto n° 2) ou forme libre (Concerto n° 4). S’il reste dans le moule traditionnel tel qu’il a été consolidé par ses prédécesseurs, Beethoven apporte néanmoins quelques innovations au genre. Bénéficiant de l’évolution du piano en matière de facture instrumentale (plus puissant, avec un clavier plus étendu), le compositeur joue davantage avec les dynamiques ainsi qu’avec les oppositions de masses et de registres. Modifiant l’écriture pour piano, mais également les proportions de l’œuvre et le rapport entre soliste et orchestre, Beethoven pose les bases du concerto romantique.
L’INFLUENCE DE MOZART
Les derniers concertos de Mozart sont encore contemporains (le Concerto n° 27 est achevé en 1791) lorsque Beethoven commence à composer ses propres œuvres pour piano et orchestre (son premier essai, un Concerto pour pianoforte en mib majeur [WoO4, non édité du vivant de Beethoven], date de 1784 et révèle déjà les capacités pianistiques du jeune homme de 14 ans). Les deux premiers concertos officiellement publiés sont donc encore sous l’influence du modèle mozartien qui, aux yeux de Beethoven, s’impose alors comme l’archétype du genre. Pour autant, ce sont déjà des œuvres riches d’intérêt et surtout très virtuoses. Installé à Vienne depuis 1792, Beethoven les utilise pour briller en tant que pianiste, en attendant de se faire connaître comme compositeur (à l’exception du Concerto n° 5, c’est lui qui crée tous ses concertos).
Si le Concerto n° 1 est le premier à être édité, en mars 1801, c’est en réalité le Concerto n° 2 qui prévaut dans l’ordre de composition. Manquant de maturité dans son écriture, il est pourtant le fruit d’une longue élaboration : après une première version écrite vers 1790, il connaît plusieurs révisions (notamment en 1795 pour une première exécution à Vienne) avant sa version définitive publiée en décembre 1801. C’est le plus mozartien des concertos de Beethoven. L’effectif instrumental est le même que celui du Concerto n° 27 et Beethoven utilise plusieurs procédés fréquents chez Mozart : l’exposition « irrégulière » du premier mouvement (l’exposition du soliste développe des thèmes différents de l’exposition de l’orchestre) ou encore la forme lied-sonate du deuxième mouvement. Conscient qu’il s’agit d’une œuvre « de jeunesse », Beethoven écrit à son éditeur : « Je ne mets le concerto qu’à dix ducats, parce que comme je vous l’ai déjà écrit, je ne le donne pas pour un de mes meilleurs. »
Alors que Beethoven commence à se forger son propre langage, la différence d’écriture avec l’officiel Concerto n° 1 est déjà sensible. Commencé en 1795, donné dans sa version définitive à Vienne le 2 avril 1800, c’est une œuvre d’une plus grande maturité où le style original du compositeur commence à poindre : sonorités éclatantes du premier mouvement, tonalité inattendue du deuxième (éloignée de la tonalité principale, ce qu’il fera dans tous les autres mouvements lents), surprenant rythme de danse dans la partie centrale du rondo. La coda fait entendre un court moment adagio, avant la péroraison finale. Cet instant de calme est un procédé que Beethoven utilisera à plusieurs reprises : dans ses Concertos n° 4 et 5, mais aussi dans le premier mouvement de sa Symphonie n° 5.
L’ÉPANOUISSEMENT DU STYLE BEETHOVÉNIEN
À partir du Concerto n° 3, le style de Beethoven émerge définitivement. Commencé en 1800, il est créé le 5 avril 1803, toujours par Beethoven qui a sans doute largement improvisé la partie de soliste encore inachevée. Son ami Ignaz von Seyfried relate ainsi cette anecdote devenue célèbre : « Beethoven m’invita à lui tourner les pages ; mais ciel ! C’était plus facile à dire qu’à faire. Je ne voyais guère que des pages blanches, tout au plus par-ci par-là quelques hiéroglyphes totalement incompréhensibles pour moi ; il jouait la partie principale presque entièrement de mémoire car il n’avait pas eu le temps, comme cela lui arrivait souvent, de l’écrire complètement. » En ut mineur (tonalité de prédilection de Beethoven), ce concerto possède le caractère héroïque et passionné qu’on retrouve dans la Symphonie n° 3, composée peu de temps après. Érigé comme modèle pour son équilibre formel, Beethoven y déploie de nombreux effets dramatiques : l’entrée théâtrale du soliste dans le premier mouvement, les incessants passages du majeur au mineur, les sforzandos à contretemps… Le deuxième mouvement, méditatif, est un moment de sérénité avant le rondo final où se côtoient avec ambivalence refrains en mineur et couplets en majeur.
Composé entre 1805 et 1806, le Concerto n° 4 est encore plus innovant. Dans le premier mouvement, le piano entre dès la première mesure, jouant seul le thème avant l’exposition orchestrale (Mozart n’avait utilisé ce procédé qu’une seule fois, dans son Concerto n° 9 « Jeunehomme »). Le deuxième mouvement, extrêmement théâtral et sans forme prédéfinie, joue entièrement de l’opposition entre deux thèmes : celui de l’orchestre, à l’unisson et très majestueux avec ses rythmes pointés, face à celui du soliste, tendre et mélodique. Le rondo, renforcé par les timbales et trompettes, enchaîne directement après le mouvement lent. Alors que le premier mouvement prend de plus en plus d’importance, l’enchaînement des deux derniers mouvements permet ainsi d’équilibrer le concerto. Joué le 22 décembre 1808, ce fut vraisemblablement la dernière performance publique de Beethoven au piano.
Le Concerto n° 5, surnommé plus tard « l’Empereur », est considéré pour beaucoup comme l’incarnation du style beethovénien. Composé en 1809, il est joué à Vienne le 11 février 1812, Carl Czerny assurant la partie soliste (la surdité de Beethoven l’empêchant de jouer lui-même). Est-ce le climat de guerre entre l’Autriche et la France qui lui a conféré cette atmosphère puissante et énergique, doucement tempérée par la plénitude du deuxième mouvement ? Beethoven reprend les procédés originaux du concerto précédent (entrée directe du soliste dans le premier mouvement, enchaînement des deuxième et troisième mouvements), associés à une écriture du piano brillante et virtuose exploitant toutes les potentialités sonores de l’instrument (dès les premières mesures, le piano parcourt toute l’étendue du clavier).
C’est également à cette époque (entre 1807 et 1809) que Beethoven aurait composé les cadences définitives de ses autres concertos, probablement à l’intention de ses élèves (en particulier l’archiduc Rodolphe).
Par la suite, Beethoven aurait formulé le souhait de composer d’autres concertos. En 1815, il laisse un projet inachevé d’un sixième concerto pour piano et, en 1826, il aurait dit à son ami violoniste Karl Holz : « Dans le futur j’écrirai à la manière de mon grand maître Händel un oratorio ou un concerto chaque année ». Malheureusement, la mort viendra frapper à sa porte l’année suivante, mettant fin à ses ambitieux projets.
Floriane Goubault