Dossiers Musicologiques - Romantique

Fauré en toute intériorité

Fauré
Gabriel Fauré a joué un rôle central dans la vie musicale française à la fin du XIXe siècle et au début du XXe.
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L'année 2024 marquera le centenaire de la disparition de Gabriel Fauré. C'est l'occasion de remettre en lumière toutes les facettes de son art subtil et raffiné, qui allie la perfection formelle avec la profondeur et la noblesse de l'expression.

«La musique consiste à nous élever le plus loin possible au dessus de ce qui est ».

Gabriel Fauré est resté fidèle à ce principe tout au long de sa vie. Sa musique n'est pas le reflet d'impressions extérieures, mais celui de sa personnalité profonde et de son monde intérieur. Dans un environnement musical en plein bouleversement, il a suivi sa propre voie, sans succomber aux sortilèges wagnériens et aux sirènes impressionnistes. « Imaginer, cela consiste à essayer de formuler tout ce que l'on voudrait de meilleur, tout ce qui dépasse la réalité », écrit-il.

Son art concilie subtilement grandeur et raffinement, classicisme et modernité, complexité de l'écriture et fluidité de la phrase musicale. Il est pleinement de son temps, apportant d'importantes innovations harmoniques, sans aucun esprit de système.

Gabriel Fauré s'est particulièrement illustré dans trois genres musicaux : la mélodie, le piano et la musique de chambre. Il est moins porté sur la musique symphonique et n'abordera l'opéra qu'à soixante ans passés, lorsqu'il tiendra enfin un bon sujet.

Fauré n'était pas issu d'une famille de musiciens. Mais il manifeste très tôt des dons musicaux et à neuf ans, il part étudier à l'École de Musique Religieuse de Paris, dirigée par Niedermeyer, qui fait découvrir les compositions de maîtres du passé, du xvie au xviiie siècle. À partir de 1861, son professeur de piano est Saint-Saëns, qui devient son ami.

Après 1870, le jeune compositeur s'intègre rapidement à la vie musicale de l'époque : il participe aux activités de la Société Nationale de Musique. Sa personnalité s'affirme déjà dans ses deux premières œuvres de musique de chambre : la Première Sonate pour violon et piano et le Premier Quatuor avec piano. Il écrit ses premières pièces pour le piano : Nocturnes, Barcarolles, Ballade. Si ses premières mélodies ont le caractère de romances, il compose au tournant des années 1880 davantage de pièces d'inspiration romantique.

Épanouissement

Fauré perd son père en 1885. Cette année marque un tournant dans son évolution artistique. Après ce deuil, il écrit son émouvant Requiem, qui reste aujourd'hui son œuvre la plus jouée. En 1886, il complète son Second Quatuor, de vastes proportions, d'un souffle et d'une ampleur toutes symphoniques.

Son style s'affirme, son langage musical se libère et s'épanouit. Il compose ses premiers cycles mélodiques, sur des poèmes de Verlaine : en 1891, les cinq Mélodies de Venise et, trois ans plus tard, La Bonne Chanson, œuvre solaire et dionysiaque, qui suscite par son audace des flots de réprobation ! Il produit trois chefs-d'œuvre pianistiques : le Sixième Nocturne, la Cinquième Barcarolle, Thème et Variations, pages qui nous époustouflent par leur puissance, leur ampleur sonore et la richesse de leur inspiration. Le Septième Nocturne, qui suit de quatre ans le Sixième, est tout aussi puissant mais dans un style différent, plus âpre et intériorisé.

Fauré est désormais célèbre et sa position dans la vie musicale française est établie : il a reçu en 1896 la chaire d'organiste titulaire à la Madeleine et a repris la classe de composition au Conservatoire.

Il ressent en 1903 les premières atteintes de la surdité, mal qui ira en s'aggravant au fil des années. Son élan créateur n'en est nullement freiné mais son écriture musicale va évoluer progressivement vers plus de concentration et d'intériorité.

De 1903 à 1905, il compose son Premier Quintette. Ruisselante d'invention mélodique, cette œuvre envoûte dès son introduction qui déroule un magnifique thème sur de scintillants arpèges du piano. Aux deux premiers mouvements, merveilles d'équilibre où les contrastes sont atténués, succède un finale joyeux et dansant.

En 1905, il est nommé directeur du Conservatoire, en remplacement de Théodore Dubois, contraint à la démission à la suite du scandale causé par l'échec de Maurice Ravel au Prix de Rome. Il va profondément réformer l'institution, pour y faire triompher la musique !

En raison de sa nouvelle charge, il ne peut guère consacrer à la composition que les mois d'été. Sa grande œuvre pendant les sept années qui suivent sera son unique opéra Pénélope, qu'il écrit pendant ses séjours estivaux en Suisse et en Italie. Créé en 1913, cet opéra où s'exprime le plus grand Fauré devrait être bien plus souvent à l'affiche.

D'autres œuvres voient le jour ces années-là. Il complète un nouveau cycle mélodique, plus intériorisé que La Bonne Chanson : La Chanson d'Eve, sur des vers du poète symboliste belge Charles Van Lerberghe. Son catalogue pianistique s'enrichit aussi de nouvelles pièces de premier ordre : les Barcarolles 8 à 11, les 9 Préludes et les Nocturnes 9 à 11.

Vers les cimes

« Comme Beethoven, Gabriel Fauré sourd ne cesse de s'élever... Quand on considère tout ce qu'il a composé depuis Pénélope – outre le Jardin Clos, les Mirages et L'Horizon Chimérique – la Seconde Sonate de violon, la Fantaisie, les deux Sonates de violoncelle, le Second Quintette, le Trio et le Quatuor à cordes ; devant cette masse de musique pure, chant suprême d'un vieillard... chant qui se renouvelle, s'amplifie, invente, qui n'avait aucune raison de cesser ; on est saisi d'une mystérieuse stupeur : Gabriel Fauré est là plus fort, plus totalement lui-même que jamais. » (Philippe Fauré-Frémiet).

Cette production tardive culmine dans le Second Quintette, créé triomphalement en 1921. L'allegro initial est d'une puissance, d'un souffle qui nous emporte sans jamais faiblir. Fauré réintroduit, pour la première fois depuis le Second quatuor, un scherzo aérien et fantasque. L'andante s'élève à des cimes que peu de compositeurs ont atteintes, exprimant tour à tour la douleur et la sérénité. Le finale se distingue par son caractère enjoué.

Cette même année, Fauré compose sa dernière œuvre pour le piano : le Treizième Nocturne, qui retrouve la force et la grandeur du Sixième.

En 1923, après avoir achevé son Trio, il se lance dans la composition d'un quatuor à cordes, genre qu'il n'a jamais abordé. « C'est un genre que Beethoven a particulièrement illustré, ce qui fait que tous ceux qui ne sont pas Beethoven en ont la frousse ! », écrit-il à sa femme. Il en commence l'écriture à Annecy-le-Vieux, où il a passé ses derniers étés. Mais l'automne venu, sa faiblesse l'empêche de continuer. Il peut reprendre son travail seulement à l'été 1924 et parvient à l'achever le 11 septembre.

À ses yeux, le quatuor n'est pas une œuvre sombre : « les deux premières parties sont d'un style expressif et soutenu, la troisième doit avoir un caractère léger et plaisant. » Mais l'effort qu'il s'est imposé pour le mener à bien l'a épuisé. Il s'éteint moins de deux mois après, le 4 novembre, entouré des siens.

Jusqu'au bout, Fauré est resté lui-même, écoutant sa voix intérieure.

Repères

  • 1845

    Naissance le 12 mai à Pamiers (Ariège)
  • 1854-65

    Études musicales à l'École Niedermeyer à Paris
  • 1875

    Sonate pour violon et piano n° 1
  • 1878

    Quatuor n° 1 avec piano
  • 1886-88

    Requiem
  • 1892-94

    La Bonne Chanson
  • 1894-95

    6e Nocturne, 5e Barcarolle, Thème et variations pour piano
  • 1898

    Pelléas et Mélisande, musique de scène ; 7e Nocturne
  • 1903-1905

    Premier quintette pour piano et cordes
  • 1907-13

    Pénélope, opéra
  • 1916-17

    Sonates : pour violon n° 2, pour violoncelle n° 1
  • 1919-20

    Second quintette
  • 1921

    Sonate pour violoncelle n° 2 ; L'Horizon chimérique ; 13e Nocturne
  • 1922-23

    Trio pour piano, violon et violoncelle
  • 1923-24

    Quatuor à cordes
  • 1924

    Décès le 4 novembre à Paris ; funérailles nationales

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