Portraits d'artistes - Voix

Adèle Charvet de Vivaldi à Joséphine Baker

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Comptant parmi les mezzos françaises les plus en vue de sa génération, Adèle Charvet revendique un éclectisme assumé en même temps qu’une fidélité aux grands répertoires. Cette saison, au Théâtre des Champs-Élysées, elle signe une rentrée très personnelle, entre hommage à Joséphine Baker et nouvelles prises de rôle.

À celle qui se dit animée d’une soif insatiable d’apprendre, le chant s’est imposé très tôt comme un domaine de prédilection : « Je crois que je n’ai jamais réellement décidé de devenir chanteuse d’opéra. C’est plutôt que je n’ai jamais envisagé de faire autre chose ! J’ai commencé à chanter enfant dans une chorale et je n’ai jamais arrêté. Je viens d’une famille de mélomanes et quand j’ai découvert certains opéras fondateurs comme La Flûte enchantée ou Carmen, ils ont déclenché une vraie passion en moi, presque une obsession. On m’offrait beaucoup de disques à mes anniversaires. Je me souviens d’avoir écouté Jessye Norman, notamment dans les Nuits d’été de Berlioz, Fischer-Dieskau dans des lieder de Schubert, Kathleen Ferrier dans les Kindertotenlieder de Mahler… Ces enregistrements ont sculpté mon oreille et ma sensibilité. Par la suite j’ai continué d’écouter beaucoup d’autres chanteurs. Aujourd’hui je dirais qu’Anne-Sofie von Otter reste pour moi un modèle ultime par sa voix, son intelligence musicale… C’est une référence absolue pour une mezzo. » Alors qu’elle était encore étudiante au Conservatoire National Supérieur de Paris, Adèle Charvet a trouvé un premier élan vers la scène lorsqu’elle a remporté un concours aux Pays-Bas avec le pianiste Florian Caroubi : « Tout à coup, nous avons été propulsés dans une série de vingt récitals consacrés à la musique allemande : Schönberg, Brahms, Wolf... J’ai eu l’impression d’apprendre mon métier en me frottant à ce répertoire, et d’autant plus devant un public connaisseur. C’est aussi là que j’ai développé un amour profond pour le récital, cette forme de l’intime. » D’autres épisodes ont marqué les débuts de carrière de la jeune mezzo, notamment quand elle a remplacé au dernier moment une soliste dans un Messie de Haendel à la Maison de la Radio en 2019 qu’elle était simplement venue écouter. Mais parmi les expériences qui furent déterminantes dans son parcours, Adèle Charvet se remémore avant tout un Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Rouen : « Nous étions en pleine pandémie et c’était un rôle très loin de moi, auquel j’avais du mal à m’identifier. Il m’a demandé d’aller puiser ailleurs, de trouver de nouvelles ressources, et la métamorphose a été d’autant plus grande. Cette expérience a renouvelé mon amour pour cet opéra, mais aussi ma passion pour le métier. » Aujourd’hui, la mezzo a conquis les plus grandes scènes lyriques et s’est distinguée aussi bien dans des rôles incontournables que dans des projets plus atypiques : « Ma voix est celle d’une mezzo plutôt légère, même si elle s’est un peu assombrie au fil du temps. Mozart et Händel sont au cœur de mon répertoire, Rossini également. Je commence par ailleurs à interpréter Carmen, et j’ai chanté ma première Charlotte l’an dernier. Mais j’aime aussi me lancer dans des aventures un peu différentes. On dit souvent de moi que je suis éclectique, et c’est vrai : j’aime toucher à tout. C’est sans doute mon caractère, je suis profondément curieuse. »

Un pas de côté

On pourra entendre Adèle Charvet le 30 septembre au Théâtre des Champs-Élysées, accompagnée de l’Orchestre de Picardie dirigé par David Reiland. Le programme est consacré à Joséphine Baker : « En lisant ses mémoires, j’ai appris qu’elle-même a chanté au Théâtre des Champs-Élysées ! Elle raconte que, lors de la première répétition, tout le personnel est sorti des bureaux pour écouter sa musique, si différente de ce qu’on entendait habituellement dans cette salle. Pour le concert, je vais interpréter certaines chansons de son répertoire arrangées par Johan Farjot, un standard de Sidney Bechet, du Bob Dylan... Vocalement c’est ambitieux parce que complètement différent de ce que je chante habituellement en tant que chanteuse d’opéra. Je m’en réjouis, c’est ainsi qu’on grandit. » Outre les chansons, la musique contemporaine s’invite dans le programme : « Caroline Marçot a composé une pièce qui s’intitule Chalk Line en s’inspirant du discours de Joséphine Baker lors de la marche sur Washington avec Martin Luther King en 1963. Elle le croise avec un événement tragique : le naufrage du Clotilde, dernier navire négrier américain. La pièce fait écho aux spirituals, aux chants de pénitenciers, mais aussi au cake-walk, cette danse née dans les plantations qui a donné le ragtime. Je suis très heureuse de rendre ainsi hommage non seulement à l’espionne de guerre qu’était Joséphine Baker, mais aussi à la militante des droits civiques. »

Rendez-vous d’automne

La suite de sa saison ramènera plusieurs fois encore Adèle Charvet au Théâtre des Champs-Élysées. On l’y entendra en octobre dans Farnace de Vivaldi où elle chantera Berenice, aux côtés de I Gemelli, puis en décembre dans Robinson Crusoé d’Offenbach où elle incarnera Vendredi, avec Les Musiciens du Louvre. Un lieu emblématique pour elle : « J’ai une histoire personnelle avec cette salle. J’y ai chanté enfant, à la Maîtrise de Radio France, puis adolescente avec le Jeune Chœur de Paris. J’ai des souvenirs lointains des coulisses et de la scène. Alors, y revenir aujourd’hui, et autant de fois cette saison, c’est un grand honneur. » Parmi les rendez-vous d’automne de la mezzo, impossible de ne pas mentionner aussi Didon et Énée à la Seine Musicale avec le Poème Harmonique ou le concert anniversaire du Consort à la Salle Gaveau. De quoi faire vibrer pleinement son amour pour la musique ancienne : « Ma formation m’a beaucoup orientée vers le baroque, je chante souvent Händel et Vivaldi. Le disque Teatro Sant’Angelo que j’ai enregistré avec Le Consort est né d’une passion commune pour ce théâtre vénitien où Vivaldi a été impresario. J’ai noué une véritable amitié musicale avec cet ensemble. Ils travaillent avec une rigueur exemplaire, et en même temps avec une jubilation communicative. Je prends beaucoup de plaisir à faire de la musique avec eux. Quant à Didon et Énée, c’est un rêve devenu réalité ! Cet opéra fait partie des premières œuvres qui m’ont bouleversée enfant. J’ai un souvenir très fort de l’air de la mort de Didon : c’est une des premières fois où la musique m’a fait pleurer. Chanter ce rôle avec Le Poème Harmonique est un immense honneur et nous allons d’ailleurs enregistrer l’œuvre. » Un jalon de plus sur un chemin qui semble sans cesse s’élargir.

 

Elise Guignard - publié le 09/09/25

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