Portraits d'artistes - Voix

Anna Netrebko La voix souveraine

Anna Netrebko
© Julian Hargreaves
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Anna Netrebko n’a pas donné de récital à paris depuis 2017. On la retrouve à la Philharmonie pour deux concerts le même jour (crise sanitaire oblige), dans des airs d’opéra mais aussi des mélodies russes ou françaises. Rencontre avec celle que d’aucuns ont sacrée «meilleure chanteuse du monde».

Quand on lui demande ce qu’elle pense de cette proclamation, la soprano russe (elle déteste qu’on la qualifie de diva) écarte la question d’une pichenette rapide : sûre de son art, déterminée dans ses choix musicaux, peu avare de déclarations d’une franchise désarmante, Anna Netrebko n’entend toutefois pas verser dans un vain nombrilisme que sa notoriété lui permettrait légitimement. De même, la grande soprano montre une discrétion hautement respectable quand on évoque son époux, Yusif Eyvazov, dont les moyens vocaux imposants lui valent une carrière sur les plus grandes scènes d’opéra. Couple fusionnel dans la vie, ces deux-là se croisent volontiers dans certaines productions mais il est manifeste que leur activité respective se développe désormais de façon distincte.

Tout a évidemment été dit et écrit sur Anna Netrebko, dont les admirateurs surveillent la moindre apparition avec effervescence : il faut dire que leur idole ne les déçoit que très rarement. La stupéfiante santé vocale que lui garantit une solidité technique indestructible et la beauté du timbre suffiraient à mettre à genoux n’importe quel auditoire. À vrai dire, le simple impact sonore de cette voix gigantesque laisse pantois dès la première note, avec des réserves de puissance qui semblent prendre, d’année en année, une ampleur toujours plus importante. Quelle est donc cette voix ? Anna Netrebko refuse manifestement les catégories : « Je pense que ma voix possède maintenant une tessiture très large. Je suis un soprano. Je ne la définirais ni comme un soprano lyrique, ni comme un soprano colorature ou dramatique ». On ne peut que respecter cette manière de défendre, somme toute, la plus grande liberté artistique car chez elle, prime d’abord l’intérêt présenté par telle ou telle partition, avec naturellement le souci de suivre l’évolution naturelle de la voix : « Il y a des rôles que je peux et que j’aime chanter, et il y en a d’autres que je n’ai pas le désir d’incarner. Je peux encore endosser des rôles lyriques comme Adina (ndlr : dans L’Élixir d’amour de Donizetti), par exemple, mais j’ajoute peu à peu des parties plus dramatiques à mon répertoire. Ces rôles demandent une grande préparation, une grande force physique et beaucoup de connaissances. Cela est très intéressant et représente un défi, j’y travaille continûment ». 

BEAUCOUP DE GRANDS CHANTEURS À NOTRE ÉPOQUE

Et quels rôles ! Quelle chanteuse peut se targuer d’afficher à son répertoire Aida, Lady Macbeth, Elisabetta de Don Carlo du côté de Verdi, et Tosca ou Turandot chez Puccini ? Si son peu d’affection pour Norma lui a fait renoncer à ce rôle si important (elle a aussi résolument tourné le dos à la Salomé de Richard Strauss), elle reste visiblement déterminée à préserver le plus longtemps possible une souplesse de la voix qui lui permet d’affronter les vocalises meurtrières d’Abigaille dans Nabucco (la prise de rôle aurait dû avoir lieu au printemps 2021 au Metropolitan Opera mais la crise sanitaire a poussé l’illustre maison new-yorkaise à annuler toute sa saison actuelle). Pour qui a entendu Anna Netrebko chanter « In questa reggia » de Turandot, la voix se déployant dans toute son immensité sans jamais montrer de dureté dans les paroxysmes de cette partie, il ne fait aucun doute que la soprano russe ne se met nullement en danger dans ces rôles réputés être des « casse-voix ». Mais les décisions artistiques ne sont pas que strictement vocales et Anna Netrebko s’investit totalement dans ses incarnations scéniques : « Je n’accepterai jamais un rôle qui me soit totalement incompréhensible sur le plan psychologique et qui ne convient pas à ma voix. Je suis très prudente lorsqu’il me faut prendre des décisions et, en conséquence, j’aime sincèrement tous les rôles que je chante. Parfois, j’ai besoin de temps pour vraiment tomber amoureuse d’un personnage ; cela fut le cas pour Tosca mais à la fin, elle a fini par me conquérir ».

Avec une telle carrière et un répertoire aussi impressionnant, il va sans dire que la soprano russe marche dans les traces de devancières légendaires. Elle n’hésite nullement à reconnaître son intérêt pour ces dernières – mais pas seulement : « Bien sûr, j’écoute de nombreuses et différentes versions des sopranos du passé, comme celles des temps modernes. J’essaie d’adopter des choses que j’apprends d’elles car, même à notre époque, il y a beaucoup de grands chanteurs. À coté de cela, j’écoute des divas d’opéras qui sont fantastiques : Mirella Freni, Renata Tebaldi, Maria Callas, Raina Kabaivanska, Renata Scotto ou encore Montserrat Caballe ».

À la Philharmonie, en ce mois de novembre si particulier, Anne Netrebko pliera sa voix colossale à l’exercice de la miniature, comme elle l’avait fait si merveilleusement à la Salle Gaveau il y a presque dix ans. La projection a encore grandi mais gageons que, entourée d’amis parmi lesquels figure le pianiste Malcolm Martineau, grand expert dans l’art de la mélodie, elle s’y révélera aussi souveraine. Faisant la part belle aux compositeurs russes mais proposant aussi Strauss (un Morgen qui s’annonce capiteux), Debussy ou Fauré, le programme est pour le moins alléchant, qu’elle défendra avec sincérité : « Le programme s’intitule « Day and Night ». Il rassemble des mélodies contrastées dans plusieurs langues et de différentes époques consacrées à ce thème. Toutes les mélodies sont proches de mon cœur et je les ai choisies de façon très minutieuse ». Et l’occasion sera belle aussi de retrouver Paris, une ville qui lui est chère : « Paris est une ville merveilleuse qui, à mon avis, mérite plus de soin et d’amour aussi bien de la part de ses habitants que des touristes. Je pense que nous devons tous apprécier ce trésor que nous avons entre les mains car, autrement, si nous ne sommes pas suffisamment vigilants, nous risquons bien de le perdre ».

Yutha Tep 

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