Portraits d'artistes - Compositeur

Steve Reich iconique

Steve Reich Partager sur facebook

Véritable légende de la composition, tour à tour vénéré ou détesté, Steve Reich n'a eu de cesse de suivre sa voie. Il faudrait écrire « ses voies », tant le compositeur américain s'est appliqué à renouveler son art. Le festival présences de Radio France lui consacre un opulent hommage.

Avec Paris et la France, les relations de Steve Reich sont aussi anciennes que mouvementées, marquées par plus d'un paradoxe : « J'ai donné à Paris mon tout premier concert hors des États-Unis, je crois que c'était en 1972. Chantal d'Arcy venait de créer le label Shandar et, avec l'aide de Daniel Caux, qui était un critique influent à l'époque et s'était fait le champion de ma musique, elle a organisé cet événement. Nous avons joué, il me semble, Four Organs, Drumming Part I, etc. La réponse du public a été claire et immédiate. » Ce premier concert parisien coïncidait avec ce tournant majeur qu'avait été la création en 1966 du Steve Reich and musicians, également connu sous le nom de The Steve Reich Ensemble. Dans une France alors dominée par l'esthétique des Stockhausen, Berio (dont il fut l'élève et dont il garde un souvenir merveilleusement affectueux) et, bien sûr, Pierre Boulez, Steve Reich n'arrivait certes pas en terrain conquis : « J'avais pleinement conscience de la situation mais j'étais simplement heureux de pouvoir jouer à Paris. Soit dit en passant, Pierre Boulez était un grand musicien et je le respectais énormément. Même si nous occupions des territoires totalement opposés, je pense qu'il y avait un respect mutuel et j'ai même été invité à travailler à l'Ircam où j'ai pu faire des expérimentations sur la voix à la fin des années 1970. » Rappelons que les premières œuvres remarquées – et parfois fraîchement reçues, y compris dans son pays – de Steve Reich furent pour bande magnétique (It's Gonna Rain en 1965 et Come out en 1966), utilisant comme matériau sonore des enregistrements de voix parlées.

Ne jamais se répéter

Il s'avère aussi ardu que périlleux de segmenter la trajectoire d'un compositeur maintenant âgé de 87 ans mais toujours animé par une énergie folle, qui a toujours pris soin de ne jamais se répéter. Plutôt que d'évoquer des périodes créatrices définies, Steve Reich préfère parler de jalons : « Je n'ai jamais raisonné de cette façon. Vous savez, on vit, tout simplement. Toutefois, si je jette un regard en arrière, je remarque bien sûr certains jalons. Par exemple, quand j'ai complété Drumming en 1971, j'ai eu le sentiment que je n'avais plus besoin de la technique du phasing. Naturellement, Music for 18 musicans (1976) a constitué un très grand moment. Toutefois, le plus grand changement a eu lieu quand j'ai commencé à écrire pour d'autres formations que la mienne. Même si certaines pièces avaient été créées par mon ensemble, il était clair pour moi que ma musique devait également être jouée par d'autres artistes. En 1978, je suis allé aux Pays-Bas pour la création de Music for a large ensemble par le Nederlands Blazers Ensemble. Et il y a eu ensuite Tehilim en 1981. Different Trains (1988) occupe une place importante, car j'ai pu effectuer la combinaison de la bonne vieille technique de la bande magnétique avec un quatuor vivant – le Kronos Quartet –, sans oublier que cette pièce est extrêmement autobiographique. Je suis très réconforté de voir que mes œuvres plus anciennes sont très souvent jouées et reçoivent encore un très bel accueil. Colin Currie et son groupe ont donné Tehilim l'an passé au Carnegie Hall – le public a été apparemment pris de folie. » Spécifiquement créé en 2006 pour interpréter la musique de Steve Reich, le Colin Currie Group sera bien présent au Festival Présences mais défendra cette fois Drumming, laissant Tehilim au Philharmonique de Radio France.

Il est cependant un fil d'Ariane que Steve Reich place au centre de sa production : « Ce groupe de pièces solo, que j'appelle les Counterpoint pieces, parcourt toute mon œuvre. À la charnière de 1980 et 1981, je crois, Ransom Wilson m'a appelé et m'a demandé de lui écrire un concerto. Je lui ai répondu non, parce que je me sentais très inconfortable avec cette idée d'opposition entre soliste et artiste. J'ai raccroché, mais je me suis dit ensuite : tu as un flûtiste de stature internationale qui veut te commander une pièce et tu ne trouves rien de mieux à lui dire que ce non ? Je me suis gratté la tête et j'ai pensé à mon Violin phase (1967), dans lequel le violoniste joue en réaction à des pré-enregistrements de lui-même. J'ai rappelé Ransom, je lui ai demandé s'il était intéressé par l'idée d'enregistrer lui-même certaines parties puis de jouer "live" en concert à partir de cette bande. Il a accepté et j'ai écrit le Vermont Counterpoint ; c'est ainsi que la série est née. » Citons, dans ce groupe, le singulier Electric Counterpoint écrit en 1987 pour la guitare électrique de Pat Metheny.

Pérotin et Bartók

Minimaliste, répétitif ? Des qualificatifs qui ne conviennent que très imparfaitement à un maître qui préfère parler de ses racines musicales : « Je suis très lié à la musique occidentale allant du plain-chant, de l'École Notre-Dame des Léonin et Pérotin, de Josquin Desprez à la Renaissance, à tous les grands compositeurs baroques. Mais je ne m'intéresse guère à la musique postérieure à 1750, malgré Haydn, Mozart et Beethoven, malgré l'art incroyable de Brahms. Je ne conteste pas leur génie mais je n'ai pas envie d'entendre leur musique. Je fais ensuite un grand bond jusqu'après 1900, avec Satie, Ravel ou Bartók – c'est cela mon monde, d'où sont issues les techniques que j'utilise. Je suis comme un serre-livre. »

Quelles que soient ses racines, la musique de Steve Reich poursuit un objectif fermement énoncé : « Toute musique est difficile. Si vous voulez entendre tout ce qui se passe dans L'Art de la fugue ou les Concertos Brandebourgeois de Bach, il faut prendre la partition et suivre toutes ces lignes qui se développent simultanément. Mais vous n'êtes pas obligés d'écouter Bach de cette façon, un enfant qui n'est pas musicien peut en tirer du plaisir. J'espère qu'il en est de même de ma musique : si ce n'est pas le cas, c'est que j'ai échoué. Beaucoup de gens écoutent ma musique sans être musicien et ils prennent du plaisir à l'écouter, point final. »

Plus efficacement qu'un quelconque manifeste, l'impact immédiat de partitions telles que Music for 18 musicians ou Different trains en assène la preuve indiscutable.

Yuta Tep

Repères

  • 1965

    It’s gonna rain
  • 1970-1971

    Drumming
  • 1974-1976

    Music for 18 Musicians
  • 1978

    Music for a Large Ensemble
  • 1981

    Tehilim
  • 1982

    Vermont Counterpoint
  • 1983

    The Desert Music
  • 1988

    Different Trains
  • 1995

    City Life
  • 2002

    Dance Patterns
  • 2006

    Daniel Variations
  • 2010

    WTC 9/11
  • 2013

    The Cave : Four Genesis Settings
  • 2019

    Reich/Richter
  • 2021

    Traveler’s Prayer

CD

  • The ECM recordings

    The ECM recordings

    Music for 18 musicians, Violin Phase, Music for a large ensemble, Octet, Tehilim. Steve Reich Ensemble. Coffret de 3 CD ECM Records.
  • Phases

    Phases

    Music for 18 musicians, Different Trains, Tehilim, The Desert Music, Drumming, Electric Counterpoint, Triple Quartet… Steve Reich & Musicians, Kronos Quartet, Schönberg Ensemble, London Symphony Orchestra, Pat Metheny… Coffret de 5 CD Nonesuch.
  • Music for 18 musicians Colin

    Music for 18 musicians Colin

    Currie Group, Synergy Vocals. 1 CD Colin Currie Records.

Restez connectés