Portraits d'artistes - Chef

Vincent Dumestre l'art du XVIIe siècle

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Le Poème Harmonique occupe copieusement la scène musicale en février et mars avec la reprise de "Coronis" de l'espagnol Durón à l'Opéra Comique, puis "Il Nerone", avatar du "Couronnement de Poppée", à l'Athénée. Rencontre avec son fondateur et chef Vincent Dumestre.

Grand défricheur de partitions devant l'Éternel, Vincent Dumestre nous a offert une superbe découverte, l'opéra Coronis, dans une mise en scène empreinte de fantaisie d'Omar Porras, créée au Théâtre de Caen en 2019 et reprise ici à l'Opéra Comique : « Le ton de cette œuvre reste celui de la zarzuela : un spectacle léger et pastoral qui porte le nom d’un palais d’été où les rois espagnols se retiraient sur les hauteurs près de Madrid dans un domaine de chasse au milieu des ronces – les zarzas. Le Palacio de la Zarzuela accueille dès l’époque de Calderón – contemporain de Corneille – des pièces agrémentées d’une musique simple mêlant chansons populaires, danses et airs d’opéra. Transportées l’hiver dans la capitale au Palais du Buen Retiro, elles comptent parmi leurs compositeurs Sebastian Durón ». Si la partition s'inscrit au carrefour des grandes influences européennes de l'époque, elle conserve une saveur viscéralement ibérique : « La musique est à la fois riche d’airs dramatiques, de chromatismes exacerbés, de récits et de tout ce qui faisait la force de la musique italienne tellement en vogue à l’époque ; et en même temps, elle est nourrie des tonadas, ces chansons typiques du théâtre espagnol, de ces chansonnettes populaires, comiques et triviales confiées aux personnages bouffons, des couleurs hispaniques de l’orchestre (harpes, guitares, castagnettes et autres tambourins étaient habituels à la cour madrilène) contrastant avec les grands airs qui expriment les moments les plus lyriques. Ces contrastes forts, ce dialogue perpétuel des genres, c’est celui que l’on retrouvera tout au long de l’histoire de la zarzuela, jusqu’au xxe siècle ». On suivra avec palpitation les aventures de la nymphe Coronis que le dieu Triton poursuit de ses assiduités malvenues.

Poppée entre Venise, Naples... et Paris

Le cœur de Vincent Dumestre a toujours battu au rythme de la musique espagnole mais l'on découvrira plus tard son attachement au répertoire transalpin, avec l'énigmatique Il Nerone, que le public contemporain connaît sous un autre nom : « Le Couronnement de Poppée a probablement été créé fin 1642 et repris en 1646 à Venise, puis en 1651 à Naples, et les deux manuscrits qui nous sont parvenus correspondraient à ces versions de 1646 (manuscrit de Venise) et 1651 (celui de Naples), qui auraient toutes deux été copiées d'après la partition ayant servi aux premières représentations, aujourd'hui perdue. Il y a de nombreuses différences entre les deux manuscrits, concernant la musique, les paroles, et l'organisation des scènes, ainsi que la marque d'interventions d'autres compositeurs comme Sacrati, Cavalli, Ferrari ou Laurenzi. Il est donc difficile de suivre de façon exclusive l'une ou l'autre partition, sans intervenir d'une façon ou d'une autre ».

Et de joindre l'acte à la parole, car Vincent Dumestre aborde une troisième version : « Au milieu de ces versions italiennes apparait une insoupçonnée version parisienne datant de 1647, présentée sous le titre Il Nerone. Une troupe de chanteurs italiens se trouvait en effet à Paris pour donner l'Orfeo de Rossi, et cette production ayant souffert de multiples retards, il lui a été demandé de présenter Il Nerone, le temps que soit terminés les préparatifs de l’Orfeo, mais dans une version raccourcie et un décor léger car on disposait de peu de temps pour le re-montage de l’œuvre. En témoignent une lettre à son protecteur du chanteur devant assumer le rôle-titre, Stefano Costa, et celle d’un diplomate français à Mazarin. Toutefois, nous ne savons pas dans quel « petit théâtre parisien » (pour reprendre les mots de Costa) Il Nerone aurait été donné et n’avons donc pas l’assurance que cette reprise a eu lieu. Mais nous sommes partis de ce postulat pour imaginer ce qu’a – ou aurait – pu être cette version parisienne : une version dans laquelle, notamment, ne figure pas le duo Pur ti miro, dont on sait qu’il ne faisait partie ni du livret original de Busenello, ni de l’opéra du vivant de Monteverdi, puisque le scénario distribué au public lors des premières représentations ne le mentionne pas ». Cette quête des origines concerne aussi les forces musicales : « Nous avons aussi souhaité restituer un effectif proche de la création du Couronnement : l’Athénée ressemble probablement, en terme de jauge, aux premiers théâtres vénitiens dans lesquels ont été créées les œuvres de Monteverdi. Nous avons donc conservé les effectifs réduits de la création : une basse continue légère de 5 musiciens et seulement 2 violons, sans ajouts de partie de vents notamment ».

Molière l'éternel

Pour ce projet, le Poème Harmonique joint ses forces à l'Académie de l'Opéra de Paris : « Nous avons cherché à retrouver l’esprit de troupe qui était le moteur permanent des premiers opéras vénitiens. L’Académie de l’Opéra de Paris permet, à sa manière, ce travail : nous avons commencé les répétitions musicales dès le 3 janvier, et profitons de cette belle énergie d’une troupe de jeunes chanteurs ayant peu l’habitude de cette musique mais montrant une formidable envie d’apprendre et de découvrir le répertoire – et c’est ce qui m’intéresse particulièrement ».
Vincent Dumestre ne délaisse pas pour autant les gloires nationales. Pour preuve, sa prochaine contribution à l'Année Molière, après Les deux Jean-Baptiste donné en janvier : « Nous allons notamment donner une œuvre scénique, Il Vecchio Avaro, écrite sous la forme d'intermèdes et qui pastiche L’Avare dans les années 1720 à Venise, un petit bijou du compositeur Francesco Gasparini, qui prouve que Molière n’a jamais cessé d’être d’actualité – et à l’affiche –, y compris à l’étranger et au xviiie siècle ! ». Défricher, questionner, ne jamais vivre sur ses acquis : tel est le saint principe que Vincent Dumestre et son Poème Harmonique suivent magistralement depuis plus de vingt ans.

 

Yutha Tep

Du Tac au Tac

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  • Belleforonte Castaldi Avec Guillemette Laurens, mezzo.

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  • Cœur Airs de cour français de la fin  du xvie siècle.

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    Jean-Baptiste Lully Cadmus & Hermione Ensemble Aedes, Le Poème Harmonique

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