Lully Atys
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Atys est sans conteste la tragédie lyrique la plus célèbre de Lully et connut un grand succès dès sa création, succès qui perdura bien après la mort du Surintendant de la musique en 1687. On loua sans réserve la beauté de la musique et celle du livret de Quinault, l'œuvre devenant rapidement pour l'opinion publique « l'opéra du roi ».
Les détracteurs de Lully ont beau jeu de dénoncer ses qualités d'intrigant, il convient de souligner la diversité des talents de Lully. Chanteur, violoniste, guitariste, claveciniste, il était musicien avant tout, et musicien pointilleux avec cela, comme le démontra amplement son extrême exigence dans le recrutement des musiciens de son orchestre. Lully était aussi habile danseur, qualité précieuse dans un royaume où la chorégraphie régnait en souveraine et participait même du prestige personnel de la haute noblesse. Ce fut sans doute en dansant aux côtés du jeune Louis XIV (à l'occasion d'un certain Ballet de la Nuit en 1653), qu'il noua ses contacts avec son futur protecteur. Ce dernier n'avait que quatorze ans et l'Italien vingt ans : six semaines après le Ballet de la Nuit, Lully devenait compositeur de la musique instrumentale du roi, entamant sa vertigineuse ascension. Il ne faut jamais oublier l'implication constante du roi dans l'élaboration des tragédies lyriques de Lully : Louis choisissait en général le sujet, lisait les textes de Philippe Quinault (1635- 1688) au fur et mesure de leur conception, suivait la naissance de la musique pas à pas, assistait aux répétitions et se mêlait même de battre la mesure si nécessaire à partir d'une partition spécifiquement destinée au monarque. Une partition d'Atys porte d'ailleurs la mention « Au Roy » : rien de surprenant pour une œuvre alors considérée par tous comme « l'opéra du roi » du fait de l'amour que le souverain lui portait.
Ce fut le 10 janvier 1676 que vit le jour la quatrième tragédie lyrique de Lully, venant après Cadmus et Hermione (1673), Alceste (1674) et Thésée (1675). Versailles résonnant encore du bruit des travaux (la cour ne s'y installa définitivement qu'en 1682), la nouvelle œuvre de Lully dispensa ses beautés au château de Saint-Germain-en-Laye où le roi aimait à se rendre lors de ses parties de chasse. L'intrigue d'Atys se prêtait admirablement aux persiflages de la Cour. Atys prétend ne pas vouloir aimer, par peur de souffrir. Toutefois, il succombe au charme de Sangaride, promise pour sa part à Célénus, roi de Phrygie. Mais la déesse Cybèle s'éprend à son tour d'Atys, lui accordant ses faveurs jusqu'à ce que la révélation des vrais sentiments de ce dernier déclenche sa fureur. Elle crée une illusion qui pousse Atys, croyant voir un monstre, à tuer Sangaride. Atys se donne alors la mort. Bourrelée de remords tardifs, Cybèle le transforme en pin, afin de l'immortaliser.
Le Roi avouait se sentir particulièrement proche du héros principal, des observateurs voyant une certaine correspondance entre Sangaride et Madame de Maintenon, la jalouse Cybèle prêtant ses traits à Madame de Montespan, dont le roi n'était alors plus amoureux et qu'il délaissait de plus en plus pour la Maintenon. Au-delà de ces frissons mondains, il y a la qualité littéraire des vers de Quinault. Ce dernier dessine en effet de vrais personnages, à l'humanité patente, jusque dans les jalousies et réactions de Cybèle plus femme jalouse que divinité cruelle. Elle est d'ailleurs la seule déesse à descendre du ciel, si l'on excepte celles du prologue. Il y a aussi la beauté intrinsèque des vers de Quinault, souples, équilibrés dans leur mouvement et, de ce fait, s'accommodant idéalement à une mise en musique. Les livrets de Quinault ont été de grands succès, participant à la célébrité des tragédies lyriques presque autant que la musique de Lully et connaissant une existence presque indépendante d'elle. Celui d'Atys semble avoir été le plus populaire d'entre eux, si l'on en croit les écrits de figures telles que Charles de Sévigné, fils de la célèbre Marquise, elle-même fort conquise par les malheurs d'Atys : elle admira notamment la scène du songe d'Atys qui marqua les esprits, comme plus tard le Songe de Renaud dans Armide (1685).
On a souvent dit que l'orchestre n'occupait qu'une place secondaire dans la conception globale d'Atys. Certes, il revint à Rameau, un siècle plus tard, de véritablement en faire un démiurge créant le monde sonore d'une tragédie lyrique. Mais, précisément, certains contemporains du grand Jean-Philippe lui reprochaient ces excès sonores, préférant nettement le noble naturel de la déclamation lullyste ! Lully n'avait sans doute nul désir de briser ce naturel et cette noblesse de sa déclamation par une surcharge sonore du côté des instruments. Pourtant, le soin particulier qu'il mit à l'écriture des parties intermédiaires de son orchestre suffit à indiquer la très claire idée qu'il devait avoir de ce qu'il convenait de faire ou de ne pas faire. La subtilité de la déclamation, cette vaste trame de récitatifs dans laquelle venaient s'insérer, avec une fluidité admirable, de courtes mais ineffables séquences mélodiques, ne tolérait pas d'interruptions intempestives, aussi belles soient-elles. Osons dire que, deux siècles plus tard, les affrontements esthétiques concernant l'opéra ne faisaient que reprendre et réactualiser les réflexions entamées dans la tragédie lyrique !
Yutha Tep - publié le 01/01/26