Dossiers Musicologiques - Romantique

Beethoven Missa Solemnis

Beethoven
Né à Bonn en 1770, Beethoven laisse peu de partitions sacrées mais la Missa solemnis domine tout le xixe siècle.
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Si la Missa Solemnis de Bbeethoven s'est pleinement inscrite dans le grand répertoire sacré, elle continue d'intimider mélomanes et interprètes. Initiée par son auteur pour la cérémonie de couronnement de l'archiduc Rodolphe comme archevêque d’Olmüz, elle devint rapidement une somme colossale dépassant les prévisions les plus folles et tout cadre liturgique.

En juin 1818, l'archiduc Rodolphe, frère de l'Empereur François II, était élevé au rang d'archevêque d'Olmütz. Ce fidèle entre les fidèles (il conserva Beethoven comme professeur de piano quinze ans durant) demanda aussitôt à son mentor une musique pour cette occasion importante. Beethoven accepta l'entreprise avec enthousiasme et songea lui-même à une messe pour l'intronisation qui devait intervenir le 9 mars 1820. Depuis la fin de l'année 1817, après une maladie grave et une certaine stérilité artistique, il connaissait comme un second souffle, immergé dans une période créatrice intense : l'effervescence de la Missa Solemnis est aussi celle de la Sonate n° 29 op. 106 « Hammerklavier » (d'ailleurs dédiée à Rodolphe) ou de la Symphonie n° 9. Se mettant avec ardeur au travail, Beethoven remit la messe à son illustre commanditaire… en 1823, après cinq années de dur labeur. Le maître avait-il sous-estimé l'ampleur de la tâche ou, à l'inverse, ne s'en était-il que trop rendu compte ? En effet, s'il fut en partie retardé par des préoccupations domestiques, il semble que la partition ait pris une ampleur qu'il n'avait guère prévue au départ, de par la nature même du texte canonique. Beethoven suivit fidèlement ce dernier tout au long de sa composition qui s'articule en blocs somme toute attendus (Kyrie eleison-Christe eleison, Gloria, Credo, Sanctus-Benedictus et Agnus Dei), mais la messe s'érigea peu à peu en un monument cyclopéen dépassant largement tout cadre liturgique, le compositeur affirmant franchement qu'elle pouvait parfaitement être donnée hors du cadre ecclésiastique. Éveiller un sentiment religieux (dont il conviendrait de définir attentivement la nature) : tel était son objectif, avec comme corollaire logique une totale compréhension des mots et de leur illustration sonore pour tout auditeur. Car le texte était le fondement absolu de l'ouvrage. Beethoven lui-même en effectua une traduction en allemand, en quête d'une vision personnelle, expédiant quelque peu certains passages, s'attardant longuement sur d'autres qui éveillaient en lui un écho particulier. 

Archaïsme & innovation

Beethoven, le « Grand Moghol » qui entendait mener très tôt sa légendaire « révolution expressive », figurait parmi les censeurs estimant la musique sacrée de son temps trop influencée par l'opéra italien, proclamant qu'elle avait tout intérêt à se tourner vers les maîtres anciens et leur manière contrapuntique. Il classait parmi ces modèles aussi bien Palestrina que Bach et, surtout, Händel pour lequel il éprouvait une admiration immense. Il faut ajouter à cette liste le plain-chant que, selon lui, tout compositeur soucieux de composer une vraie musique religieuse se devait d'étudier. Lui-même usa des modes ecclésiastiques dans sa messe et eut recours à des citations littérales des hymnes grégoriens. Nul paradoxe toutefois dans cette position : les archaïsmes étaient pour lui non point un retour à un conservatisme stérile mais bien plutôt des lignes directrices pour son écriture, notamment vocale. La manière orchestrale synthétise pour sa part tous les acquis symphoniques antérieurs et brille d'une modernité exceptionnelle, la présence de timbres archaïques (les trombones) s'insérant dans une sonorité large et puissante. Fort logiquement, le compositeur évite soigneusement les grands airs de type opératique, privilégiant les ensembles pour ses quatre solistes.

« La plus grande œuvre que j'ai composée » 

L'impact de la Missa Solemnis repose sur l'extraordinaire enchaînement de cellules rythmico-mélodiques relativement brèves et opiniâtrement transformées, ainsi que sur une palette dynamique d'une variété et d'une précision frappantes. Le tempétueux Gloria et le Credo, à peine moins explosif, en sont des illustrations parfaites, vastes coulées menant la dialectique détente-explosion dans des paroxysmes inouïs, illuminées par les interventions du quatuor de solistes et s'achevant sur d'immenses fugues dont la vigueur regarde davantage vers Händel que Bach. L'écriture fuguée est traditionnellement et intimement liée au sacré mais Beethoven l'utilise dans toute sa musique, notamment symphonique, où elle est un moyen d'accélération rythmique et de saturation sonore. Il faut le célèbre Benedictus avec son ineffable introduction au violon (le seul vrai passage soliste de toute l'œuvre et sans doute l'une des pages les plus « tendres » jamais composées par Beethoven) et l'Agnus Dei, sombre et tourmenté au départ mais s'éteignant dans une sérénité lumineuse, pour que la veine mélodique se déploie pleinement, avec cette profondeur expressive qui n'appartient qu'au maître de Bonn. « C'est l'œuvre la plus grande que j'ai composée jusqu'ici », s'exclama Beethoven. Il faut bien constater qu'aucune partition postérieure ne peut prétendre à une telle hauteur de vue.

 

Yutha Tep

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