Dossiers Musicologiques - Classique

Mozart Dernières symphonies

Mozart
Wolfgang Amadeus Mozart ne bouleverse pas les cadres formels de son époque mais marque de son empreinte opéras, symphonies, quatuors à cordes…
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Le prestige des trois dernières symphonies de Mozart explique leur présence régulière dans nos salles de concert. Toutefois la Symphonie n° 38 est une étape essentielle de la production de Mozart et il faudrait presque parler de ses « quatre dernières symphonies ».

Les manuscrits mentionnent des dates qu'on ne peut récuser : le 26 juin 1788 pour la Symphonie n° 39 en mi bémol majeur K. 543, le 25 juillet pour la Symphonie n° 40 en sol mineur K. 550 et, enfin, le 10 août pour la Symphonie n° 41 en ut majeur K. 551 « Jupiter ». La n° 40 connaît une deuxième version dans laquelle les clarinettes s'ajoutent à des hautbois dont la partie se voit modifiée et c'est cette version qui est la plus couramment exécutée. Mozart achève donc en moins de deux mois trois des plus hauts accomplissements de l'histoire de la musique, célérité qui n'est guère surprenante, à vrai dire, si l'on considère la rapidité avec laquelle il élabore, par exemple, La Flûte enchantée ou La Clémence de Titus à venir. On sait que cette période fut l'une des plus noires de l'existence du compositeur en proie à des difficultés financières insurmontables. En juin 1788, toute la famille se vit ainsi contrainte de déménager pour s'installer dans un appartement moins coûteux dans la périphérie de Vienne. Pis encore, le 29 juin, leur fille Theresa mourut à l'âge de seulement six mois. On a gardé des lettres poignantes envoyées à l'ami Johann Puchberg faisant état de l'extrême découragement qui affligeait alors Mozart de façon fort compréhensible. Pourtant, il fit face à ces tribulations par une flambée créatrice exceptionnelle : c'est l'époque des trois symphonies, certes, mais aussi des Trios pour piano K 542 et K 548, et des Sonates pour piano K 533 et K 545. L'écriture ni de la Symphonie n° 39 ni de la « Jupiter » ne porte trace de ces tourments. Seule la sombre intensité de la Symphonie n° 40 pourrait être considérée sous l'angle du désespoir. Comme le font remarquer si justement Jean et Brigitte Massin dans leur indispensable somme consacrée au musicien, la proximité chronologique des trois partitions rend possible une volonté de constituer un cycle symphonique. S'y ajoute de surcroît une donnée « haydnienne » : d'aucuns ne manquent pas de signaler que les trois symphonies mozartiennes évoluent selon un ordre tonal inverse à celui des trois premières Symphonies parisiennes de Haydn (ut majeur pour la Symphonie n° 82, sol mineur pour la Symphonie n° 83 « La Poule » et mi bémol majeur pour la Symphonie n° 84). 

Une tendance claire vers la complexité musicale

La beauté des trois dernières symphonies domine de très haut non seulement le paysage musical d'alors mais aussi le reste de la production symphonique de Mozart, à l'exception cependant de la Symphonie n° 38 « Prague ». Toutefois, malgré une originalité musicale indiscutable, Mozart n'apporte pas d'innovations formelles au modèle haydnien et à la forme-sonate, ses symphonies pouvant être considérées comme de géniales explosions créatrices dans une carrière s'articulant avant tout autour de ses opéras et de ses concertos pour piano. Écrites après la mort de Mozart, les ultimes symphonies de « Papa Haydn » alignent des avancées plus décisives pour le genre. À quelques détails près (l'utilisation encore incertaine des clarinettes), Mozart fait appel ici à l'orchestre classique dans toute sa largeur mais en soi, cet ambitus sonore n'est pas une nouveauté, puisque de tels effectifs sont utilisés dès 1778 avec la Symphonie n° 31 « Paris », écrite pour l'opulent orchestre du Concert Spirituel. La grande caractéristique de la dernière manière symphonique mozartienne s'incarne en réalité dans une tendance claire vers la complexité musicale dont le moteur principal est un contrepoint toujours plus serré. 

Dans cette perspective, il faut absolument, nous l'avons dit, inclure la Symphonie n° 38 et l'on pourrait presque parler de ses « quatre dernières symphonies », tant la « Prague », créée le 6 décembre 1786 dans la capitale bohémienne, initie véritablement cette évolution qui trouve son apothéose dans l'écriture fuguée étourdissante du Finale de la « Jupiter ». La vaste introduction lente du premier mouvement de la « Prague » est l'une des pages les plus dramatiques de Mozart, contrastant avec la marche vers la lumière de l'Allegro qui suit et qui énonce le fameux thème réutilisé dans l'ouverture de la Flûte enchantée. La lumière tamisée de l'Andante et ses subtiles modulations, d'une qualité d'écriture qui ne faiblit pas, nous propulse directement dans le Presto final qui convoque Les Noces de Figaro, utilisant le thème entendu à l'orchestre quand Chérubin, surpris par le Comte Almaviva, s'échappe par la fenêtre. 

La Symphonie n° 39 est sans doute celle qui, le plus, annonce la carrure rythmique et la vitalité explosive de Beethoven. Comme la « Prague », elle débute par un long Adagio dans le premier mouvement, les interventions massives des timbales et des trompettes plaçant la partition sous le signe de la solennité, la scansion par accords granitiques annonçant à plus d'un titre les « coups de poing » sonores que le Maître de Bonn utilisera à son tour. Toutefois, c'est vers Haydn et son mouvement perpétuel que le Finale Allegro regarde : danse d'une vivacité étourdissante, aux modulations audacieuses passant d'un instrument à l'autre avec un naturel confondant. Entre les deux, l'Andante con moto alterne séquences sereines et interrogations dramatiques, alors que le Menuetto allegretto brille par une robustesse rythmique d'origine populaire que Haydn n'aurait pas non plus reniée. 

Une « Symphonie avec fugue » 

Entre l'énergie torrentielle de la n° 39 et la grandeur triomphale de la n° 41, la Symphonie n° 40 en sol mineur, sans trompette ni timbale, est pourtant celle qui obtient la plus grande tension dramatique. Avec un raffinement suprême d'écriture, l'Andantealterne tendresse indicible et orages chromatiques, suivi par un Menuetto d'un élan farouche et sombre. C'est enfin la bourrasque de l'Allegro assai conclusif, avec un développement d'une intensité incomparable, y compris dans le reste de la production de Mozart. 

C'est à Johann Peter Salomon qu'on doit le surnom de « Jupiter » maintenant indissociable de la Symphonie n° 41. L'impresario londonien fut fort impressionné par les proportions et la solennité olympiennes du premier mouvement, Allegro. Même ampleur du geste musical dans l'Andante cantabile, jusque dans les épisodes dramatiques qui conservent une noblesse inébranlable, et dans le Menuetto (Allegretto) dont l'apparente nonchalance dissimule une complexité permanente. Tout a été dit sur le Finale (Molto allegro) qui a valu à la symphonie son deuxième surnom, « Symphonie avec fugue ». Il ne s'agit pas, en réalité, d'une fugue véritable mais plutôt d'une marqueterie somptueuse multipliant et enchaînant les fugati, jusqu'à une coda flamboyante dont le contrepoint mêle cinq thèmes en un tour de force qui sidère encore, deux siècles après. Il est symbolique que l'ultime symphonie de Mozart s'achève sur cette éblouissante démonstration.

Yutha Tep

Repères

  • 27 janvier 1756

    naissance de Mozart à Salzbourg
  • 1762

    premières compositions
  • 1777

    Concerto pour piano « Jeunehomme »
  • 1782

    Symphonie n° 35
  • 1783

    Symphonie n° 36 & Messe en ut
  • 1786

    Les Noces de Figaro & Symphonie « Prague »
  • 1787

    Don Giovanni
  • 1788

    Symphonies n° 39, 40 & 41
  • 1790

    Cosi fan tutte
  • 1791

    La Flûte enchantée & Requiem
  • 5 décembre 1791

    mort de Mozart

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