Roberto Alagna garder la flamme

Avec plus de quarante ans de carrière derrière lui, le ténor franco-italien affiche une longévité admirable, continuant de magnétiser le public par son panache, son timbre rayonnant et une authenticité souvent louée. À l’Opéra de Paris, il reprend le rôle du Chevalier des Grieux dans Manon.
Ces dernières saisons, on a pu entendre Roberto Alagna dans les grands opéras romantiques (Tosca, Carmen, Turandot…) mais également dans des ouvrages plus rares (Fedora d'Umberto Giordano), ou même dans des incursions au-delà des frontières du classique, comme pour la comédie musicale Al Capone : « Je ne pourrais pas dire quels ont été les temps forts de ces dernières années, car lorsque j’accepte un rôle c’est que je suis complètement amoureux de la musique et de l'histoire. Certaines partitions plus rares demandent plus de travail, mais je suis toujours heureux de le faire car cela enrichit mon répertoire mais aussi ma manière de chanter. » Ce sont aussi bien les chefs-d’œuvre italiens que français qui ont fait la gloire de Roberto Alagna tout au long de sa carrière. Celui-ci se remémore avec amusement une anecdote de ses jeunes années à ce sujet : « Lorsque j'ai démarré, on ne me proposait que des rôles italiens. Un directeur de théâtre m'avait presque ri au nez quand j’avais évoqué l’idée de chanter un rôle français. J’ai commencé à le faire malgré tout quelques années plus tard, jusqu’à devenir finalement une sorte de prototype du ténor français ! » Entre ces deux répertoires, aucun ne prime sur l’autre dans le cœur du ténor : « Ce sont deux répertoires de prédilection, je me sens comme un poisson dans l’eau. Lorsque je chante un rôle français, je chauffe ma voix en italien, et inversement. Ces vocalités se nourrissent l’une l’autre. Chaque répertoire permet d’enrichir sa palette d’expression, d’ailleurs je me suis rendu compte que j’adorais aussi chanter en allemand, et je regrette même de ne pas avoir tenté l’aventure plus tôt. » À l’Opéra de Paris, c’est le français qui sera à l’honneur. On retrouve en effet Roberto Alagna dans l’un de ses rôles emblématiques, celui du Chevalier des Grieux dans Manon de Massenet : « La première fois que j’ai interprété ce rôle dans ma carrière, c’était justement à Bastille, en 2004, dans la mise en scène de Gilbert Deflo. J’ai toujours aimé cet ouvrage, au point de le reprendre aujourd’hui alors que le rôle est généralement chanté par de jeunes ténors. Il faut une certaine souplesse de la voix et de la clarté. Je me sens privilégié qu’on me le propose encore et que je sois en mesure de le faire. Après il y a la question de rester crédible dans un rôle de jeune homme, et j’espère que je ne serai pas ridicule. Je suis heureux de relever le défi en tout cas ! »
La sagesse de l’expérience
Il est certain que peu de ténors peuvent afficher la même longévité que Roberto Alagna : « Je suis dans ma soixantaine, et beaucoup de collègues de mon âge ont déjà terminé leur carrière. J’ai la chance de pouvoir continuer. Certes on perd des choses de la jeunesse mais on en gagne d’autres avec la maturité. Les expériences de la vie nourrissent les interprétations. Aujourd'hui je suis papa, et même grand-père, je vois les choses différemment, une sorte de sagesse s'installe. Quand je suis sur scène, je n'essaie pas de composer un personnage, j'essaie d'être moi-même, Roberto, dans la même situation. Je pense que la clé c’est de garder la passion, de profiter du plaisir d'interpréter, de partager des émotions avec le public, de rencontrer de nouveaux partenaires, d'être toujours dans la course. Cette flamme me donne une énergie incroyable. » Une flamme qui lui permet aussi de faire face à l’évolution du métier. Le ténor en souligne aussi bien les difficultés que les améliorations : « Quand j’ai commencé, on traitait les chanteurs avec beaucoup de respect et de soin, on les protégeait. C’est moins le cas aujourd’hui, les conditions de travail sont bien plus difficiles, on a moins le temps de se reposer à cause de la crise économique. Il y a une sorte de course frénétique contre la montre, on doit chanter tous les jours, avec de très longues répétitions, parfois juste avant les concerts. Mais ce n’est pas tout noir non plus. On parle souvent de l'âge d'or de l'opéra en évoquant le passé, mais je crois que l'âge d'or de l'opéra c'est aujourd'hui car il n’a jamais été aussi accessible. On a une multitude de possibilités pour en écouter, avec une multitude de festivals, des plateformes de musique en ligne, des retransmissions dans les cinémas… Je trouve aussi que le goût des grandes voix est revenu. Même dans la variété on retrouve des chanteurs « à voix ». L'opéra n'a jamais été aussi populaire qu'aujourd'hui. » Roberto Alagna se dit finalement optimiste sur l’avenir du milieu : « Je crois que l'opéra a de beaux jours devant lui. Les jeunes chanteurs sont beaucoup mieux préparés qu’avant, parce qu'ils peuvent écouter toutes les grandes interprétations qu’ils souhaitent grâce à tous les contenus accessibles. Ils murissent plus vite mais seul l’avenir nous dira comment ils évolueront dans le temps. » Pour les prochaines années, le ténor n’a qu’un seul souhait, continuer à chanter le plus longtemps possible. Et pour lui qui n’a plus à rien à prouver, il reste avant tout le plaisir : « J’aimerais poursuivre à une vitesse de croisière, sans courir contre la montre, pour avoir la chance que mes filles et mes petits-fils continuent de me voir sur scène. Je voudrais garder la flamme jusqu'au bout, et le jour où je ne me produirai plus en public, j’espère continuer à chanter pour moi-même ! »
Elise Guignard - publié le 01/05/25