Portraits d'artistes - Voix

Lisette Oropesa dans la lumière

Lisette Oropesa Partager sur facebook

Le monde impitoyable des « divas » voit se succéder à un rythme soutenu des étoiles parfois filantes. L'astre Lisette Oropesa brille pour sa part avec une ardeur appelée à durer et revient illuminer l'Opéra Bastille dans l'un de ses répertoires de prédilection, l'opéra français.

L'attachement de Lisette Oropesa pour la musique française n'est plus à démontrer : son dernier enregistrement pour Pentatone, consacré aux airs d'opéras de Donizetti et Rossini écrits dans la langue de Racine, et la diction cristalline qui le parcourt, confirment cet amour. Ophélie dans Hamlet de Gounod s'avère un rôle en or pour qui en maîtrise les exigences vocales et les clairs-obscurs théâtraux. Nul doute que Lisette Oropesa en livrera une incarnation marquante, face au Hamlet de Ludovic Tézier : « J’ai déjà abordé ce rôle : la première fois en version de concert, puis en version scénique à Lausanne, en 2017 – et je dois dire que cet opéra a véritablement besoin d’une mise en scène. Je trouve la trajectoire d’Ophélie très intéressante, pas si éloignée de celle de Marguerite dans Faust de Gounod. Comme cette dernière, elle est confrontée à un homme très tourmenté qui, au début, la rejette, et se trouve de ce fait enfermée dans une solitude la conduisant à la folie. Elle est happée par la dépression d’Hamlet, par sa soif de vengeance, son obsession à l’égard de la relation entre sa mère, Gertrude, et le nouveau roi. Il aime Ophélie et c’est pour cette raison qu’elle se sent trahie par son attitude. La musique de Hamlet est incroyable, particulièrement pour mon personnage. Il y a bien sûr la célèbre Scène de la folie mais je pense aussi à cet air si beau au début de l’Acte II, « Adieu, dit-il, ayez foi », dans lequel elle évoque Hamlet qui ne lui parle plus. Ophélie est un personnage que j’aime vraiment énormément. »

Marguerite sauvée in extremis

Chacun se souvient du sauvetage in extremis effectué dans le rôle de Marguerite de Valois des Huguenots de Meyerbeer à Bastille, en 2018, Lisette Oropesa se substituant à Diana Damrau : « Si l'on m’avait proposé Valentine, l'autre rôle de soprano des Huguenots, j’aurais refusé. Marguerite de Valois ne chante vraiment que dans un acte : elle a un air que j’avais écouté de nombreuses fois, un duo et le finale. J’ai accepté la proposition mais il a tout de même fallu qu’on me laisse le temps nécessaire et j’ai étudié la musique jour et nuit pendant deux semaines. Je suis arrivée sans avoir réussi à mémoriser le rôle entièrement. J’avoue que ce fut une sorte de cauchemar, même si toute l'équipe autour de moi a été d'un grand soutien. On ne peut apprendre un rôle en une seule semaine pour se lancer immédiatement dans les répétitions que lorsqu’il s’agit d’un petit rôle. Un grand rôle exige des mois de préparation. » Rien n'a paru sur scène de cette tension, tour de force qui suscite l'admiration et, une nouvelle fois, donne la preuve de l'aisance dans la langue française d'une chanteuse née à La Nouvelle-Orléans. Bientôt dans sa – encore plus – glorieuse maturité, Lisette Oropesa jouera certainement de sa notoriété désormais installée pour se tirer de ces épineuses situations.

Je ne suis pas une voix spécialisée

Gilda bouleversante dans Rigoletto, Violetta de La Traviata capable de faire pleurer les pierres, Lucia di Lammermoor hallucinée et Adina grisante comme du champagne chez Donizetti, mais aussi Theodora handelienne d'une beauté céleste, Lisette Oropesa cultive une flexibilité que lui autorise sa technique éblouissante et dont elle souligne les bienfaits : « Je ne suis pas une voix « spécialisée » dans le sens où je ne chante pas qu’un ou deux compositeurs. Je ne me considère pas comme une handelienne, ni une rossinienne, etc. D’une certaine manière, je dois aborder les partitions qui sont dans la mesure de mes possibilités. Ma voix garde un caractère plutôt clair mais il me faut donc faire attention à ne pas me cantonner à des rôles légers : tout simplement, je n’ai plus 25 ans et je dois aller vers les répertoires où me mène l’élargissement naturel de ma voix. Si je veux durer, je dois alterner des rôles assez larges avec d'autres plus légers, des musiques plus graves et d'autres plus aiguës. Cela permet aussi d’éviter que s’installent des habitudes dont on ne peut plus se débarrasser. Quand on ne chante que Wagner ou que Verdi, il devient très délicat de sortir de ces approches vocales particulières quand on aborde un autre compositeur. Si l'on vous demande soudainement de chanter Mozart, on peut rencontrer une certaine difficulté. Je reconnais que mon cerveau est parfois mis à l’épreuve mais il est sain pour ma voix de passer d’un répertoire à l’autre»

Tous les chanteurs se doivent de répondre aux folles attentes du public, mais il est patent que ténors et sopranos suscitent une attention singulière  : « Il y a une énorme pression. Le problème vient de la légende de la prima donna, de l’idée de la diva. Les gens ont souvent écouté les disques de ces véritables déesses du chant que sont les Caballe, Callas ou Sutherland. Et ils ne les oublient jamais, ils les portent dans leur cœur. Quand à votre tour vous montez sur scène, vous affrontez bien sûr le souvenir de ces divas. » Ces comparaisons intempestives pèsent même sur la musique, telle une chape de plomb que Lisette Oropesa aura pour objectif de fissurer à La Scala de Milan ce printemps 2023  : « Le rôle de Lucia di Lammermoor a été écrit pour un soprano colorature [ndlr : Fanny Tacchinardi-Persiani la première des sopranos dites "rossignols" dont la plus célèbre reste Nellie Melba], et la version originale est plus aiguë que ce qu’en a fait la tradition, qui la confie à un soprano dramatique capable de colorature. Mais le rôle n’est pas écrit pour ce type de voix. Et Lucie, la version française, monte encore plus haut. À La Scala, nous allons tenter un retour aux sources, avec la version italienne dans la tonalité d’origine plus haute et donc, avec une Lucia différente de ce qu’on entend habituellement. »

Suivant les pas de Natalie Dessay, qu'elle idolâtre littéralement, Lisette Oropesa sera Lucie au Festival d'Aix-en-Provence cet été. Billet de train déjà réservé.

 

Yutha Tep

 

Du Tac au Tac

  • Votre son ou bruit préféré ?

    Celui des vagues d’un océan qui déferlent.
  • Votre compositeur préféré ?

    Mozart
  • Votre partition pour une île déserte ?

    Les Noces de Figaro.
  • Le rôle que vous auriez voulu créer ?

    Juliette dans l’opéra de Gounod. Mais je vais bientôt l’aborder !
  • Le livre qui a changé votre vie ?

    Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë.
  • La personnalité qui vous inspire le plus ?

    Tori Amos dont j’adore l’œuvre depuis des années.
  • L’objet qui vous accompagne dans tous vos voyages ?

    Mes chaussures de course.
  • Et si vous deviez vous réincarner ?

    J’espère que ce sera en un chat domestique pourri gâté !

3 CD

  • George Frideric Handel - Theodora

    George Frideric Handel - Theodora

    Chœur & orchestre Il Pomo d’Oro, M. Emelyanychev (direction). Avec J. DiDonato, P.A. Bénos, M. Spyres, J. Chest. 3 CD Erato / Warner Classics.
  • Giuseppe Verdi - La Traviata

    Giuseppe Verdi - La Traviata

    Chœur de l’Opéra de Dresde, Philharmonique de Dresde, D. Oren (direction). Avec R. Barbera, L. Lynch… 2 CD Pentatone.
  • Airs du belcanto français - Airs d’opéras de Rossini & Donizetti

    Airs du belcanto français - Airs d’opéras de Rossini & Donizetti

    Philharmonie de Dresde, C. Rovaris (direction). 1 CD Pentatone.

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