Portraits d'artistes - Voix

Emiliano Gonzalez Toro La voix du Seicento

Emiliano Gonzalez Toro
Emiliano Gonzalez Toro partage son immense expérience de Monteverdi avec son ensemble I Gemelli.
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Après une version très acclamée de l’Orfeo avec son ensemble I Gemelli, Emiliano Gonzalez Toro nous dévoile sa production du retour d’Ulysse dans sa patrie. Deux chefs-d’œuvre montéverdiens abordés avec amour et humilité, qu’on aura la chance d’entendre (ou réentendre !) Cet automne.

Maître absolu du Seicento, Monteverdi a toujours été la grande passion d’Emiliano Gonzalez Toro : « C’est un engouement qui est né très tôt chez moi, lorsque j’étais étudiant au conservatoire à Genève. Le Lamento della ninfa fut l’une de mes premières expériences avec Monteverdi, et je me souviens m’être immédiatement senti appelé par ce style-là, comme une évidence. » La suite de son parcours lui donnerait raison, les plus grands chefs de la scène baroque l’ayant engagé pour ses qualités exceptionnelles dans ce répertoire : « Il faut avoir beaucoup de souplesse et comprendre la théâtralité de cette musique. À l’époque de Monteverdi, la technique vocale des chanteurs n’avait pas encore atteint son climax, comme ce serait le cas à l’époque romantique, et l’ambitus est beaucoup plus petit. Il faut faire ressortir la virtuosité non pas par la puissance vocale et la hauteur des notes mais par la façon d’exprimer les sentiments et les couleurs, ce qui nécessite d’être un très bon comédien. » À Pontoise et à Tours, le ténor redonne son Orfeo, fruit d’un travail de longue haleine porté par un appétit sans borne pour l’œuvre : « Ma vision du rôle a complètement changé par rapport aux premières fois où je l’avais fait. Quand j’ai commencé à analyser en profondeur cet opéra avec ma femme Mathilde Etienne, j’ai découvert le génie complet de Monteverdi à chaque mesure, à chaque note, à chaque parcelle de texte. C’est un tel chef-d’œuvre que plus je le travaille plus je le respecte et jamais je n’oserais y modifier ne serait-ce qu’une virgule. » Les reprises de l’Orfeo se feront en parallèle d’une autre production très attendue à la rentrée, celle du Retour d’Ulysse dans sa patrie au Théâtre des Champs-Élysées : « Le Retour d’Ulysse est une œuvre très différente de l’Orfeo. Orphée est bien plus une figure qu’un personnage et l’opéra qui lui est dédié se rapproche d’un oratorio, il s’en dégage une vraie noblesse par son écriture très construite et par ses fastes. C’est exactement l’inverse du Retour d’Ulysse qui est un opéra de rue si j’ose dire, fait pour être joué comme du théâtre. Avec Ulysse on incarne un personnage qui pourrait être celui d’un film ou d’une bande dessinée. Pour faire un parallèle assez osé, je pourrais dire qu’on est presque dans Game of Thrones. Par ailleurs, c’est un personnage bien identifié, car on connait tous la guerre de Troie et on a déjà l’image en tête du héros qui est le plus malin de tous. Je l’ai déjà chanté intégralement à Tokyo en 2018 et j’aime imaginer qu’il est drôle, qu’il comprend vite et s’adapte. Le défi est de lui donner du relief, de le nourrir, de ne pas en faire un stéréotype mais de le rendre crédible et de l’incarner avec honnêteté. »

Huit rôles de ténors

Bien que très différent de l’Orfeo, Le Retour d’Ulysse dans sa patrie a lui aussi des trésors à révéler : « C’est un opéra très imagé où l’on peut jouer sur des changements marqués dans les couleurs vocales. On peut rechercher, selon les moments, les couleurs de l’extase, de la tendresse, du mépris, du chuchotement, de la violence, de la tristesse... Je vois cet opéra comme une série radiophonique et si un auditeur écoutait notre concert à la radio, je voudrais qu’il puisse s’imaginer des images claires grâce aux couleurs vocales. » Il est vrai que depuis qu’il a fondé l’ensemble I Gemelli, Emiliano Gonzalez Toro assure, en plus de son rôle de chanteur, un travail de direction époustouflant : « La direction s’est imposée à moi. J’avais envie de pouvoir raconter ce dont j’avais envie. Avec ma femme nous travaillons de façon très intensive au niveau de la dramaturgie et de la construction des projets. J’ai aussi comme objectif principal d’aller trouver les meilleurs chanteurs que je connaisse. Pour Ulysse, il y a huit rôles de ténors au total ! Il faut une équipe de haut vol et les ténors que j’ai engagés sont plus extraordinaires les uns que les autres. » Le propre de l’ensemble I Gemelli est également de proposer des concerts non dirigés : « On est parti du constat qu’au xviie siècle en Italie, le concept du chef qui dirigeait n’était pas établi, d’autant plus que certains compositeurs chantaient les rôles principaux de leurs propres opéras. On les imagine mal se faire diriger par un luthiste ou un violiste. Avec Mathilde, je fais donc travailler tout le monde sur le texte et la versification pour que les chanteurs soient autonomes et clairs, et que le continuo puisse les suivre facilement, sans chef pour coordonner tout le monde. Depuis le premier concert de l’ensemble en 2019 il commence d’ailleurs à se créer une cohésion dans le continuo. Il faut tout prévoir en amont mais une fois sur scène on fonctionne comme une équipe de foot ayant été préparée par l’entraineur, on se passe le ballon à tour de rôle. Bien sûr, le travail pour monter le spectacle est bien plus long que pour une production traditionnelle. Il faut prendre le temps d’essayer, de se tromper, mais cette manière de travailler me nourrit et je suis persuadé qu’elle peut donner de beaux résultats. » Et on est les premiers convaincus !

 

Élise Guignard

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