Une académie pour le piano français
Mise en place en novembre 2016 à l’initiative de Jean-Philippe Collard, l’académie de musique française pour piano – dont il est directeur artistique – propose à des étudiants triés sur le volet et venus du monde entier un approfondissement du répertoire français sous la conduite de pianistes éminents.
Depuis plus d’un siècle, l’École Normale de Musique de Paris s’est forgé une réputation internationale, accueillant dans le quartier haussmannien du Boulevard Malesherbes dans le XVIIe arrondissement des générations d’étudiants attirés par le prestige d’une institution placée dès sa création sous le patronage d’Alfred Cortot. Priorité a toujours été accordée à l’étude de l’interprétation de la musique française qui faisait florès ensuite à l’étranger grâce à des étudiants culturellement informés pour lesquels la sonorité du clavier français représentait quelque chose. Le pianiste Jean-Philippe Collard, grand défenseur de ce répertoire (il est l’un des rares à interpréter la Ballade de Gabriel Fauré ou des pièces concertantes de Louis Durey ou de Germaine Tailleferre), a perçu que face à la mondialisation, il était nécessaire de sauvegarder une tradition séculaire qui tendait à se déliter sur l’autel de la standardisation : « J’avais le sentiment depuis longtemps qu’il fallait s’engager dans la sauvegarde d’un héritage menacé. J’observais de plus en plus une perte de sens dans la perception de ce qu’était la pratique du répertoire français. Dans les concours internationaux auxquels je participais comme membre du jury, il m’apparaissait que les professeurs préparaient de plus en plus les élèves à briller dans des œuvres spectaculaires de Rachmaninov, Tchaïkovski, Prokofiev, Liszt… exigeant un fort engagement technique et une puissance de son. Les œuvres françaises pour clavier finissaient ainsi par être la portion congrue et, hormis quelques pages de Debussy et surtout de Ravel avec son Gaspard de la Nuit, n’avaient plus l’oreille des candidats. Pourtant, le piano français se différencie par la façon d’articuler, d’attaquer la note, de susciter une atmosphère et des impressions, d’instiller des couleurs, de voyager dans un imaginaire. Rien de commun avec la musique allemande ou la musique russe, et l’on saisit bien à l’écoute toute la différence qui peut séparer les Troisièmes Concertos de Prokofiev ou de Rachmaninov des pages de Ravel, Fauré, Debussy… Il est vrai que l’École française paraissait un peu glacée, et même une pianiste comme Jeanne-Marie Darré – qui pourtant a enregistré de superbes Concertos de Saint-Saëns – pouvait donner l’impression de dispenser un style très distancié. Au Conservatoire de Paris, mon professeur Pierre Sancan se situait à la croisée des chemins en faisant davantage participer le corps pour modeler la sonorité, mais il recherchait aussi la finesse de ton, la qualité du timbre et la légèreté qui sont l’apanage de notre musique.»
Une expérience pleine de promesses
Avec ténacité, Jean-Philippe Collard s’est engagé dans ce projet de création d’une Académie de Musique Française pour Piano et a reçu d’emblée un accueil favorable non seulement des responsables de l’École Normale, mais aussi de ses collègues pianistes. Le mécénat a aussi contribué à conforter cette initiative : « Dès la première année, j’ai constitué une équipe pédagogique de réputation internationale qui peut faire rêver et le nom des intervenants parle de lui-même. Lors des trois ou quatre sessions annuelles qui se déroulent pendant les vacances scolaires – de manière à profiter pleinement des pianos et des locaux de l’École Normale quand les étudiants permanents ne sont pas présents – je tiens à porter l’accent sur des compositeurs comme Albert Roussel dont on joue très peu la musique pour piano, et l’ensemble du programme proposé s’étend de Rameau à nos jours, mais évidemment on ne fait l’impasse ni sur Debussy, Fauré ou Ravel. Bertrand Chamayou a même assuré une formation sur les Sonates de Boulez. » La pandémie a quelque peu ralenti le fonctionnement de cette Académie, mais la reprise en février du premier stage annuel s’annonce sous les meilleurs auspices : « Les étudiants y recevront une formation complète à raison d’une heure de cours par jour avec un accès à l’ensemble des autres cours en tant qu’auditeurs. Ils ont été sélectionnés sur la base d’enregistrements.» Il faut tout particulièrement saluer cette expérience originale et de haut niveau : elle participe à la fois à la défense d’un héritage précieux et contribue également au rayonnement de la culture musicale française hors de l’Hexagone.
Michel Le Naour