Dossiers Musicologiques - XXe siècle

Sibelius le symphoniste

Sibelius
Le compositeur finlandais Jean Sibelius a marqué de son empreinte la musique symphonique du début du xxe siècle.
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La septième symphonie et Tapiola sont les deux dernières grandes œuvres orchestrales de Sibelius. Elles parachèvent une production profondément personnelle, une des plus riches et originales du début du XXe siècle.

Jean Sibelius est aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands symphonistes du début du xxe siècle. Si son catalogue comporte plus de cent numéros d'opus, sa notoriété repose sur une vingtaine d'œuvres : ses sept symphonies et ses poèmes symphoniques, auxquels il faut ajouter le célèbre concerto pour violon.

Né en 1865, Sibelius fut propulsé dès 1892 au rang de compositeur national finlandais avec la création de sa grande symphonie Kullervo, acte fondateur qui marqua la naissance de la musique finnoise moderne, à une époque où la Finlande, alors grand-duché de l'Empire russe, avait besoin d'affirmer son identité et de lutter pour préserver son autonomie.

Compositeur national ne signifie pas que Sibelius composa dans l'isolement une musique exotique. Au contraire, sa musique est universelle et Sibelius fut « plus cosmopolite que la plupart de ses détracteurs ». De 1890 à 1931, il fit 41 voyages à l'étranger. Berlin fut la ville où il séjourna le plus. On le vit à Munich, à Bayreuth, à Vienne où il découvrit Bruckner. Il voyagea en Italie, où il commença la composition de la Deuxième symphonie et de Tapiola. Il fit 5 séjours en Angleterre, de 1909 à 1921, et autant à Paris, où il vint pour la première fois lors de l'Exposition universelle de 1900. Il alla en Russie et bien sûr, dans les pays scandinaves voisins. Il se rendit aux États-Unis en 1914.

Ses nombreux voyages favorisèrent la diffusion de sa musique. Il dirigea lui-même nombre de ses œuvres et ses tournées lui permirent de mieux connaître la musique de ses prédécesseurs et de ses contemporains. Il rencontra Strauss, Dvořák, Debussy, Mahler. Busoni fut son ami pendant plus de 30 ans.

Vers un langage personnel

Dans le foisonnement musical du début du xxe siècle, Sibelius traça sa route sans concession. Plusieurs de ses compositions s'inspirent de l'épopée nationale finlandaise, le Kalevala. C'est le cas de la Suite de Lemminkaïnen, qui rassemble 4 poèmes symphoniques colorés, dont l'envoûtant Cygne de Tuonela.

Ses deux premières symphonies, composées au tournant du siècle, subissent encore une certaine influence du romantisme germanique et à un degré moindre, des Russes.

La Troisième (1907) marque un tournant décisif vers un langage plus personnel, caractérisé par la concentration du discours, une économie de moyens et des innovations de forme. Son remarquable troisième mouvement combine, en moins de dix minutes, scherzo et finale dans une progression inexorable vers le sommet terminal. Sibelius le définit comme une « cristallisation d'idées à partir du chaos ».

Alors que la Troisième est tournée vers l'extérieur, la Quatrième symphonie en la mineur, une des œuvres les plus audacieuses de Sibelius, a un caractère introspectif. Son langage aphoristique, son orchestration austère et sa forme apparemment insaisissable en déroutèrent plus d'un ! Pourtant sa construction, parfaitement maîtrisée, illustre des principes énoncés un peu plus tard par Sibelius : « Je pourrais comparer la symphonie à un fleuve. Elle naît d'une multitude de petits ruisseaux qui se cherchent l'un l'autre, et ainsi le fleuve se dirige large et puissant vers la mer »...

Les œuvres suivantes prirent un tour plus chatoyant, sans pour autant céder à la simplification. En 1914, Sibelius fut invité aux États-Unis pour y créer Les Océanides, poème symphonique d'une grande séduction sonore qui nous entraîne avec les nymphes dans les profondeurs de l'océan.

De toutes ses symphonies, la Cinquième est celle qui lui donna le plus de mal. Il mit quatre ans à la mener à bien, de 1915 à 1919, et elle connut trois versions successives. Son premier mouvement concilie une grande complexité formelle et une remarquable spontanéité expressive. Il enchaîne magistralement des épisodes variés, préfigurant le mouvement unique de la Septième. Le finale triomphant fut inspiré à Sibelius par les cris de cygnes en vol qui l'avaient émerveillé.

Quatre ans devaient s'écouler jusqu'à l'achèvement en 1923 de la Sixième symphonie, fort différente de la précédente. Tout en demi-teinte, évitant les extrêmes, elle fait un usage subtil de la modalité, possède un grand pouvoir évocateur et illustre à merveille cette phrase du musicien : « tandis que d'autres compositeurs vous livrent toutes sortes de cocktails, je vous sers quant à moi une eau froide et pure ».

Les deux derniers chefs-d'œuvre

La Septième symphonie fut créée à Stocholm en mars 1924. Elle présente la singularité d'être en un seul mouvement, d'un peu plus de vingt minutes. Ce bloc enchaîne plusieurs épisodes contrastés, de durées différentes, avec des changements brusques de tempo et d'atmosphère. L'unité architecturale en est assurée par un grand thème lent et solennel des trombones qui intervient à trois reprises. Le premier épisode lent, le plus long, qui après une admirable polyphonie de cordes, aboutit à la première apparition de ce thème en ut majeur, laisse présager un long développement. On assiste au contraire à une accélération du tempo, mais aussi du temps lui-même. Le thème de trombones revient en ut mineur dans le passage central, plus sombre et dramatique, après un premier épisode rapide. Il s'interrompt pour laisser la place à une nouvelle partie rapide, plus détendue. Il revient, de nouveau en majeur, au début de la grande ascension qui précède la conclusion. La Septième laisse une impression de grandeur et de sérénité.

Cette sérénité devait voler en éclat, deux ans plus tard. Au début de 1926, Sibelius reçut une commande de la « Symphony Society » de New York pour un poème symphonique. Il se mit à la composition de Tapiola au printemps en Italie, l'acheva à l'automne et l'œuvre fut créée le 26 décembre à New-York.

Tapiola signifie la demeure de Tapio, divinité suprême de la forêt dans la mythologie finlandaise. On peut dépeindre le déroulement de Tapiola comme une lente accumulation de tension débouchant sur un cataclysme qui s'achève dans le calme de la mort. L'accumulation résulte notamment de la répétition lancinante du premier thème, qui parcourt la partition tout entière. Et c'est au moment où la musique semble s'éteindre que surgit la première explosion martelée des cuivres, suivie peu après d'un déchaînement sauvage de l'orchestre. Ensuite, il n'y a plus de repos : la musique devient instable et agitée et on assiste à une succession de flux et de reflux saisissants. Après un dernier sursaut des cordes hurlantes dans les hauteurs, Tapiola se clôt dans un calme apparent.

L'écoute de Tapiola ne laisse pas indemne. La forêt de Tapio est inquiétante, terrifiante même. Aucun humain ne s'y trouve. Le calme final n'a rien de rassurant. Tapiola fut suivi d'un silence de trente ans. Peut-on reprocher au compositeur de s'être tu sur ses chefs-d'œuvre?

Pierre Verdier

Repères

  • 1865

    Naissance de Jean Sibelius le 8 décembre à Hämeelina
  • 1885-89

    Études musicales à Helsinki
  • 1892

    Symphonie "Kullervo" ; épouse Aino Järnefelt (1871-1969) dont il eut six filles
  • 1896

    Suite de Lemminkaïnen (révisée par la suite)
  • 1899

    Première symphonie
  • 1902

    Deuxième symphonie ; En Saga
  • 1904

    Installation à Ainola, au nord d'Helsinki, avec sa famille
  • 1905

    Concerto pour violon
  • 1907

    Troisième symphonie
  • 1911

    Quatrième symphonie
  • 1913

    Luonnotar, pour soprano et orchestre
  • 1914

    Les Océanides
  • 1919

    Cinquième symphonie
  • 1923

    Sixième symphonie
  • 1924

    Septième symphonie
  • 1926

    Tapiola
  • 1957

    Sibelius meurt le 20 septembre à Ainola

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