Philip Glass Einstein on the Beach
Créé en 1976, le premier opéra de Philip Glass est entré dans l'histoire de la musique. Sa complexité, tant dans les effectifs mis en jeu que dans sa nature textuelle, explique qu'il n'apparaît que rarement sur les scènes internationales. Ces soirées à la cité de la musique constituent donc des événements.
Vénéré ou décrié, Philip Glass aura certainement marqué notre temps. Coller un qualificatif à son œuvre colossale et protéiforme rélève de la gageure : pape du minimalisme, gourou de la musique répétitive ? Glass a récusé plusieurs fois certains adjectifs utilisés, selon lui, mal à propos. De son propre aveu, Einstein on the Beach ouvre une nouvelle période de sa créativité mais laquelle ? On serait bien en peine de classer musicalement ce véritable « OVNI » tant s'avéra organique la collaboration entre Philip Glass et Robert Wilson.
L'initiative vint de ce dernier, alors fermement ancré dans le théâtre d'avant-garde. L'un et l'autre désiraient aborder une figure historique, Glass proposant Gandhi, Wilson évoquant Chaplin et Hitler. Le tandem s'accorda finalement sur Albert Einstein. Le 25 juillet 1976, les spectateurs du Festival d'Avignon découvrirent, médusés, un spectacle de cinq heures, dans lequel les chorégraphies de Lucinda Childs occupaient une place centrale. En l'absence d'entracte, le public était invité à sortir ou entrer dans la salle à sa convenance. Dans la foulée, la production partit à la conquête de Hambourg, Paris, Venise, Bruxelles et enfin New York. On ne reviendra pas sur les différentes versions qui virent ensuite le jour, toutes soulevant maintes difficultés (y compris pour Philip Glass et Robert Wilson eux-mêmes qui remirent l'ouvrage sur le métier à deux reprises) tant les éléments sont imbriqués les uns aux autres.
Comment décrire en quelques lignes ce monstre théâtro-musical (ou musico-théâtral) ? Il ne s'inscrit dans aucun genre identifiable (pas même celui de l'opéra), avec pour ambition d'évoquer un scientifique de légende sans élément biographique (le personnage d'Einstein est d'ailleurs campé par un violon solo) et sa théorie de la relativité du temps. Utilisant des chiffres, des notes de musique littéralement énoncées, des poèmes d'un jeune autiste, Christopher Knowles, et des textes de Lucinda Childs et de Samuel M. Johnson (qui joua le rôle du Juge et d'un Chauffeur de bus à Avignon), le livret tourne le dos à la narrativité traditionnelle. Il s'articule en quatre « actes » (Train 1/Trial 1, Night Train, Trial 2/Prison, Building/Bed/Spaceship) encadrés et séparés par cinq interludes dénommés « knee plays » (articulations), auxquels s'ajoutent Dance 1 et Dance 2 (Field with Spaceship).
Admirant « le temps, l'espace et le mouvement théâtraux » de Robert Wilson, Philip Glass en donne l'écho sonore avec un chœur à 4 voix, et un ensemble instrumental entre orchestre de chambre et groupe pop, démultiplié par l'amplification. En apparence limpide, cette immense chaconne fourmille de détails ciselés dont on peine à saisir la totalité. S'apppuyant essentiellement sur les techniques de la progression par addition rythmique et du mouvement cyclique, Philip Glass procède à une véritable dilatation du temps qui reste unique dans l'histoire de la musique.
La vision proposée par Ictus et le Collegium Vocale Gent a déjà montré ses qualités aux Pays-Bas ou en Espagne : le mélomane devrait vivre – ou revivre – un expérience incomparable.
Yutha Tep