Dossiers Musicologiques - Romantique

Rachmaninov Symphonie n° 3

Rachmaninov
Sergueï Rachmaninov a consacré l'essentiel de sa production au piano mais il nous a aussi laissé de magnifiques symphonies.
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Rachmaninov a composé sa troisième et dernière symphonie en suisse, en 1935 et 1936. Exilé depuis près de vingt ans, il y exprime une fois de plus avec grandeur et émotion son indéfectible attachement à sa terre natale.

Avant de quitter pour toujours la Russie en décembre 1917, Serge Rachmaninov jouissait déjà d'une grande notoriété en Europe et aux États-Unis, comme compositeur, pianiste et chef d'orchestre, à la faveur des tournées qu'il y avait effectuées. 

Mais après son départ définitif de sa terre natale, il cesse de composer pendant plusieurs années. Il va rapidement se lancer dans une carrière exclusive de pianiste, qui durera vingt cinq ans. Il donne d'abord une série de concerts au Danemark, puis s'embarque pour l'Amérique avec sa famille en novembre 1918. Il devient alors le musicien errant qui va sillonner le pays et susciter par ses interprétations un enthousiasme inconnu auparavant pour un concertiste étranger.

Sa vie s'organise alors au rythme de ces tournées éreintantes. Seuls les mois d'été lui apportent quelque répit. Il voyage en Europe, où il retrouve de vieux amis.

C'est seulement en 1926 qu'il s'accorde enfin une pause puis revient à la composition, avec le Quatrième concerto pour piano et trois Chants russes pour chœur et orchestre. Le concerto est accueilli froidement ; découragé, le compositeur s'enferme de nouveau dans le silence pendant cinq longues années. Il passe plusieurs étés en France et retrouve le calme dans la commune de Clairefontaine, près de Rambouillet. Il y compose en 1931 les Variations pour piano sur un thème de Corelli, sa seule œuvre « française ». 

En 1930, Rachmaninov se rend en Suisse à l'invitation de son ami Oskar von Riesemann, qui projette d'écrire une biographie du musicien. Il tombe amoureux d'un endroit visité longtemps auparavant, au cours de son voyage de noces, sur les hauteurs du lac des Quatre-Cantons. Il achète aussitôt un terrain et décide d'y faire construire une villa : ce sera « Senar », baptisée ainsi des prénoms du compositeur et de sa femme Natalia, et de la première lettre de son nom. La construction demandera beaucoup de temps et d'argent, et il faudra attendre 1934 pour qu'il puisse s'y installer définitivement. Mais le compositeur y trouvera enfin le havre de paix qu'il recherchait, où il pourra retrouver sa veine créatrice. Le couple y passera tous les étés jusqu'en 1939. Il compose dès l'été 1934 la brillante Rhapsodie sur un thème de Paganini, créée triomphalement en novembre de la même année avec Stokowski au pupitre, et dont le succès ne s'est jamais démenti.

Naissance de la 3e symphonie

L'année suivante, il se lance dans la composition de sa Troisième Symphonie. La précédente, la Deuxième, remontait à près de trente ans, et il n'avait plus écrit pour l'orchestre seul depuis l'Île des Morts en 1909. Le thème principal de cette nouvelle œuvre germait sans doute dans son esprit depuis longtemps. Il se met au travail au printemps 1935 mais ne peut le mener à terme cette année là : il doit l'interrompre pour aller faire une cure à Baden-Baden. Environ les deux tiers de l'œuvre sont écrits.

Après une nouvelle saison de concerts, il en achève la composition le printemps suivant. Le 6 juin, il peut enfin écrire au bas du manuscrit : « J'ai terminé. Grâce à Dieu ». L'achèvement de la symphonie lui a coûté beaucoup d'efforts. Il va faire une nouvelle pause et les étés suivants seront de pur repos, jusqu'au dernier passé à Senar en 1939.

La Troisième Symphonie est créée le 6 novembre 1936 à Philadelphie sous la baguette de Leopold Stokowski. 

L'œuvre, qui dure environ quarante minutes, comporte trois mouvements, mais le deuxième, un adagio, englobe une partie scherzo. Le premier mouvement débute par un lent thème motto, qui va revenir régulièrement et servir de devise à l'ensemble de la composition. Un violent tutti retentit, qui amène l'exposition d'un premier thème allegro nostalgique, bientôt suivi d'un second où Rachmaninov retrouve ses grandes inspirations lyriques, un molto cantabile exposé d'abord aux violoncelles, qui semble venu tout droit des profondeurs de la Russie. Le développement s'organise autour des deux thèmes, en vagues successives contrastées, où se succèdent des épisodes agités et des passages plus apaisés. Le thème motto s'y fait entendre et revient, ample et mystérieux, à la fin de la coda.

Au début du deuxième mouvement, le cor solo commence par entonner le thème devise, accompagné d'accords de harpe, auquel s'enchaîne un bel adagio romantique, avec une longue phrase mélodique rappelant la partie centrale de l'Île des morts. Cet adagio est en deux parties qui encadrent un bondissant scherzo, au style plus proche de Prokofiev, annonçant les Danses symphoniques. Le compositeur y montre une parfaite maîtrise de la transition. Le mouvement se termine avec le retour de l'adagio, plus succinct, tout en finesse et en retenue.

Le finale débute avec le dynamisme lyrique propre au compositeur. Après l'exposition du premier et du second sujets, le vigoureux thème principal est réutilisé comme sujet d'un fugato, dans lequel le Dies Irae, ce fil rouge dans l'œuvre de Rachmaninov, s'insinue en contrepoint. En montant vers son apogée, la ressemblance entre le thème devise et le Dies irae s'accentue ; mais dans la coda le fantôme est conjuré et l'œuvre s'achève dans une jubilation exubérante et pleine de vie. 

L'orchestre de la symphonie est scintillant et riche de timbres variés : il utilise le piccolo, deux harpes, un xylophone, un celesta et un large arsenal de percussions.

La musique du cœur

Lors de sa création, la nouvelle symphonie reçoit un accueil mitigé. Sans doute, le public américain ne pouvait en comprendre le sens profond, à une époque où la vie musicale avait connu de grands bouleversements. Le compositeur aime beaucoup sa nouvelle œuvre, et il se montre reconnaissant envers ceux qui l'ont appréciée dès le début, comme le chef d'orchestre anglais Henry Wood. Il l'enregistre lui-même à la tête de l'orchestre de Philadelphie en 1939.

Dans cette symphonie, comme dans toutes ses compositions, il est resté fidèle à sa conception de la création musicale. Pour lui, l'œuvre du compositeur ne doit découler que d'intentions intérieures. Aucune œuvre importante et significative ne peut être créée selon des formules préparées à l'avance. La musique doit être le reflet de la personnalité du compositeur. Elle est l'expression de son pays natal, de sa foi, de son amour, des livres qui l'ont ému, des tableaux qu'il a aimés. Le temps transforme la technique mais pas la vocation. Il a toujours écrit une musique qu'il entendait à l'intérieur de lui-même. Il puisait sa musique dans son cœur, non dans son esprit. Elle était le miroir de son âme, qui était restée en Russie.

Aujourd'hui, les controverses de la première moitié du vingtième siècle sur la modernité en musique sont bien passées de mode. Nous pouvons alors apprécier pleinement la troisième symphonie, comme toutes les autres compositions de Rachmaninov, pour ce qu'elle est : une œuvre riche d'invention mélodique, à l'orchestration brillante et subtile, doucement nostalgique mais évitant l'emphase excessive, retenue dans l'émotion et bien sûr, profondément russe.

 

Pierre Verdier 

Repères

  • 1er avril 1873

    naissance de Serge Rachmaninov à Oneg, province de Novgorod
  • 1885-92

    Études musicales à Moscou
  • 1891

    Premier concerto pour piano
  • 1897

    Création de la Première Symphonie à St-Petersbourg, échec
  • 1901

    Deuxième concerto pour piano
  • 1902

    Épouse sa cousine Natalia Satine
  • 1903-04

    Préludes pour piano op. 23 ; Le Chevalier Avare et Francesca da Rimini, opéras en un acte
  • 1907

    Deuxième symphonie
  • 1909

    L'Île des Morts, poème symphonique; Troisième concerto pour piano
  • 1910

    Second cycle de Préludes pour piano
  • 1913

    Les Cloches, pour chœur et orchestre
  • 1915

    Les Vêpres, pour chœur mixte
  • décembre 1917

    départ définitif de Russie
  • 1918

    Automne : départ pour l'Amérique, début des tournées de concerts
  • 1926

    Quatrième concerto pour piano, Trois Chants Russes
  • 1931

    Variations sur un thème de Corelli
  • 1934

    Installation à Senar (Suisse) ; Rhapsodie sur un thème de Paganini 1935-36 : Troisième symphonie
  • 1940

    Danses symphoniques
  • 28 mars 1943

    décès à Beverley Hill

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