Dossiers Musicologiques - Romantique

Dvořák Stabat Mater

Dvořák
Bien avant la Symphonie du Nouveau monde, le Stabat Mater a contribué à la renommée internationale du compositeur tchèque Antonín Dvořák.
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Le Stabat Mater est la première grande œuvre religieuse de Dvořák d'une grande intensité émotionnelle, qui traduit toute une gamme de sentiments émergeant de l'abîme d'une souffrance déchirante pour s'élever vers les hauteurs de prières remplies de compassion.

La musique religieuse de Dvořák comprend des œuvres qui par la beauté de leur invention et la sincérité de leurs sentiments et de leur expression soutiennent la comparaison avec le meilleur de sa musique instrumentale. Ainsi s'exprimait Mosco Carner, chef d'orchestre et biographe du compositeur. Dvořák s'intéressa à la musique religieuse dès son plus jeune âge. Entré en 1857 à l'École d'orgue de Prague, il commença sa carrière de musicien comme organiste d'une petite paroisse de Prague, Saint-Aldebert. Très pieux, Dvořák composa pour l'église tout au long de sa vie. Ses premières œuvres sacrées répertoriées datent du début des années 1870.

À la fin de cette décennie, le compositeur était déjà reconnu dans son pays, après la publication de pièces « nationalistes » comme les Chants moraves et les Danses slaves. Mais c'est le Stabat Mater, sa première grande œuvre sur un texte religieux, qui allait propulser le compositeur sur le devant de la scène musicale internationale dans les années 1880. Dvořák décida de composer cette œuvre à la suite de drames familiaux. Il entreprit son travail au printemps 1876, quelques mois après le décès de sa fille Josefa. Il composa une première version pour solistes, chœur et piano, mais ne put l'achever et laissa la partition de côté. L'année suivante, sa famille connut une nouvelle tragédie : il perdit coup sur coup deux autres de ses enfants, sa fille Ruzena et son fils Otakar. Il reprit alors la composition de son œuvre, lui ajouta trois mouvements et en acheva l'orchestration en novembre 1877. La création à Prague n'eut lieu que trois ans plus tard, le 23 décembre 1880, sous la direction d'Adolph Cech. Janáček en dirigea la seconde exécution à Brno en avril 1882. L'œuvre fut accueillie avec enthousiasme en Angleterre l'année suivante, et Dvořák vint la diriger lui-même à Londres en 1884. La première aux États-Unis eut lieu la même année. Ce succès marqua le début d'une longue période de célébrité du compositeur tchèque dans les pays anglo-saxons.

La douleur de la mère pleurant son fils

Le Stabat Mater se fonde sur un poème en latin du xiiie siècle, attribué au moine franciscain Jacopone da Todi. Le thème en est l'expression de la douleur de la Vierge Marie, qui du pied de la croix contemple son fils crucifié. Les quatre solistes vocaux, le chœur mixte et l'orchestre symphonique dépeignent avec grandeur et émotion la profonde douleur de cette mère pleurant son fils.

Le Stabat Mater de Dvořák se présente en dix parties qui suivent de près le déroulement du poème de Jacopone da Todi. Les dix parties sont très inégales en durée. Les deux premières représentent un tiers du temps total de l'œuvre, du fait qu'elles sont construites chacune sur quatre versets du texte alors que les autres n'en comportent qu'un ou deux. Elles délivrent une sombre méditation sur la douleur de la mère devant le corps de son fils crucifié.

Le premier mouvement (Stabat mater dolorosa, andante con moto), pour quatuor et chœur, dure à lui seul vingt minutes. C'est une longue déploration, débordante d'émotion et d'un flux lyrique déferlant avec toute la force d'un orchestre et d'un chœur ivres de peine. Ce sont des vagues successives qui s'enchaînent, avec des flux et reflux d'intensité sonore qui ne laissent aucun répit.

Après ce torrent d'émotion, le deuxième mouvement (qui est homo, andante sostenuto), plus retenu, est un quatuor des solistes qui se recueillent sobrement devant le tableau du supplice de Jésus et de la mère éplorée. Il est construit sur deux thèmes principaux, avec une reprise qui est un condensé de l'exposition.

Les parties suivantes apparaissent davantage comme des commentaires pieux conduisant à une ultime supplique dictée par la perspectivede notre propre mort et de la béatitude éternelle.

Le troisième mouvement (eja mater, fons amoris), confié au chœur, évoque la mère, source d'amour, sur un rythme de marche funèbre sourde et pudique. Après un court épisode tendu où retentit le cri « fac, ut tecum lugeam » (fais que je souffre avec toi), la marche est reprise da capo.

Le quatrième mouvement (fac, ut ardeat cor meum), pour basse solo et chœur, est marqué par le contraste entre le récitatif véhément du soliste et le choral chanté au départ pianissimo par le chœur (Sancta Mater, istud agas).

Des ténèbres à la lumière

La cinquième partie (tui nati vulnerati) marque le passage progressif de l'ombre à la lumière. Le chœur y exprime, sur un rythme ternaire au tempo allant, dans une ligne mélodique ondoyante, l'espoir en un monde meilleur des vrais croyants qui partagent les douleurs de la mère.

Le sixième mouvement (fac me vere tecum flere, andante con moto) met en place un dialogue, sur un thème plusieurs fois varié, entre le ténor solo et le chœur, qui s'adressent à la Vierge pour partager sa douleur.

Le septième mouvement (virgo virginum praeclara) est un largo où le chœur, qui chante à plusieurs reprises pianissimo et a cappella, en alternance avec un orchestre très expressif, exprime la douceur consolatrice, pleine d'amour pour la mère souffrante.

On trouve ensuite un duo lumineux (fac, ut portem Christi mortem, larghetto) de la soprano et du ténor qui exaltent leur amour pour le Christ sacrifié. La neuvième partie est un air d'alto (inflammatus), aux accents baroques, qui chante la réjouissance glorieuse à l'approche du jugement.

Le final (quando corpus morietur), pour quatuor et chœur, reprend le matériel thématique du premier mouvement, cette fois pour célébrer la perspective proche du Paradis. Il s'achève sur un grandiose Amen virtuose. Une reprise saisissante de la phrase initiale, par le chœur a cappella, précède la conclusion sereine.

L'œuvre, qui a débuté dans l'affliction, passe ainsi progressivement des ténèbres à la lumière, comme si Dvořák avait surmonté son propre chagrin de père ayant perdu ses enfants : pour lui, la douleur n'est que transitoire et le compositeur nous replace dans l'espérance en une vie future pleine de lumière.

La parenté thématique des deux parties extrêmes consolide cette œuvre imposante dans laquelle les solistes et le chœur, plus que l'orchestre, sont chargés d'exprimer le drame et l'émotion.

L'œuvre progresse inexorablement, dans un déluge ininterrompu d'invention mélodique et de couleur orchestrale, depuis le recueillement de la plainte initiale jusqu'à l'apothéose finale qui glorifie la grandeur du Paradis. Le Stabat Materapparaît ainsi comme une œuvre jaillissante, spontanée jusque dans l'affliction. Dvořák n'a pas signé une œuvre tragique : il a su dépasser ses propres souffrances pour atteindre une grandeur universelle.

Pierre Verdier

Repères

  • 1841

    Naissance d'Antonín Dvořák le 8 septembre à Nelahozeves, village près de Prague
  • 1857

    Entre à l'école d'orgue de Prague
  • 1859

    Devient altiste dans un orchestre
  • 1865

    Compose sa première symphonie
  • 1877

    Compose le Stabat Mater, créé en 1880
  • 1880

    Concerto pour violon
  • 1885

    Symphonie n° 7
  • 1890

    Requiem
  • 1892-95

    Directeur du Conservatoire national de New-York
  • 1893

    Symphonie n° 9 « du Nouveau monde »
  • 1895

    Concerto pour violoncelle
  • 1896-97

    Poèmes symphoniques
  • 1900

    Opéra « Rusalka »
  • 1904

    Mort le 1er mai à Prague

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