Portraits d'artistes - Cordes

Astrig Siranossian l'archet et la voix

Astrig Siranossian
Formée à Lyon, Astrig Siranossian se perfectionne en Suisse auprès d’Ivan Monighetti. Son Premier prix au Concours Penderecki en 2013 lance une carrière internationale qui n’a cessé depuis de se développer sur les plus grandes scènes.
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Dans le monde du violoncelle si riche d'étoiles – notamment en France – , il n'est guère aisé de se frayer un chemin. C'est pourtant ce que réussit parfaitement Astrig Siranossian. Au-delà d'une technique digitale qui en impose, la jeune virtuose française passionne par une personnalité assurément hors du commun.

Après avoir amplement voyagé, Duo Solo effectue enfin une escale parisienne. Ce programme audacieux, qui vient de paraître au disque chez Alpha Classics, conjugue sérénité artistique absolue et force de conviction à renverser les montagnes. C'est qu'Astrig Siranossian unit ici deux mondes aussi importants l'un que l'autre pour son identité musicale, mais que d'aucuns pourraient juger peu compatibles. Ainsi, la Suite pour violoncelle seul n° 1 de Bach voit ses danses alterner avec de sublimes mélodies arméniennes, tableau chatoyant encadré par deux grands portiques érigés au siècle passé, les sonates de Ligeti et de Kodály. Le choix des mélodies s'est évidemment révélé cornélien  : « Je connais une grande quantité de mélodies, j'ai beaucoup réfléchi, beaucoup testé. J’en joue certaines tout simplement parce que je les trouve très belles, j’en ai écarté d’autres parce qu’elles marchaient moins bien avec le reste du programme. Pour rendre les choses en apparence simples, pour obtenir un résultat qui paraisse naturel, il faut beaucoup construire et déconstruire. Ce qui a été délicat, c’est qu’au début du projet, je dissociais vraiment les mélodies arméniennes des pièces de Bach. J'ai réalisé ensuite qu’il n’y avait aucune différence entre elles. Ce constat m’a fait énormément de bien et m'a réconciliée avec beaucoup de choses, je dois l'avouer ».

Des suites écrites
pour être dansées

Astrig Siranossian s'inscrit en faux contre la sacralisation parfois paralysante dont fait l'objet le Kantor de Leipzig : « Dans ses suites, Bach a écrit des danses, non pas des traités, et je suis persuadée qu’à l’époque, on les dansait effectivement car il y a un rebond chorégraphique évident. La danse faisant partie du quotidien à l’époque de Bach, je suis assez stupéfaite qu’on puisse affirmer sérieusement qu'elles n’ont pas été écrites pour être dansées. Selon moi, les personnes qui tiennent ce discours n’ont en général pas la moindre idée de la manière dont on peut danser une courante, une gigue ou un menuet. Cette sorte de snobisme rend l’accès à cette musique inutilement difficile. »

La particularité de Duo Solo est contenue dans la formulation même : «  C’est un oxymore, qui me semblait amusant. Je suis seule sur scène mais avec deux violoncelles, il y a un échange entre le violoncelle et la voix ». Vous l'avez compris, Astrig Siranossian mêle son chant à celui de son cher violoncelle dans les mélodies arméniennes, faisant preuve d'une modestie qu'on nous permettra de juger excessive, tant ces entrelacs s'avèrent émouvants. La vocalité a de tout temps accompagné le développement de notre musicienne : « J’ai toujours beaucoup chanté en travaillant. La plus grande inspiration pour trouver un phrasé reste quand même de chanter la phrase pour voir ce qu’il en sort. Je ne me considère absolument pas comme une chanteuse, je fais simplement appel à la voix parce qu’il s’agit d’un atout naturel qu’il est beau d’utiliser. Si on ne chante pas une musique, c’est un peu comme cuisiner sans jamais goûter ». Signalons que cette magicienne des alchimies sonores éprouve une passion pour celles, non moins complexes, de la haute cuisine.

La scordatura,
art de la résonance

Le voyage hors du temps qu'est Duo Solo se referme sur un chef-d'œuvre absolu, la Sonate pour violoncelle seul de Zoltán Kodály, composée en 1915 et recourant à la scordatura, technique consistant – c'est une description sommaire – à accorder un instrument à archet d'une façon sortant de l'ordinaire car spécifique à la musique jouée : « Je fréquente depuis longtemps la sonate de Kodály et je me suis donc habituée à la scordatura. La scordatura était une pratique très courante à l’époque baroque mais elle a été perdue au fil du temps, notamment pendant la période du romantisme. Le violoncelle ne faisait peut-être pas partie des instruments qu’on voulait le plus expérimenter, l’accent ayant été surtout mis sur les claviers. La question de la résonance est passée au second plan, alors que c’est une dimension primordiale. Cela est fort dommage car la scordatura est une démarche fascinante conduisant vers une certaine pensée ». Le vitalité rythmique de ses Bach démontre magistralement sa compréhension du langage baroque.

Beauté mélodique, intensité lyrique, fulgurances harmoniques et poétiques, fascinantes couleurs et thèmes populaires si chers au compositeur (et à Astrig Siranossian) : la sonate de Kodály et l'interprétation qu'en propose Astrig Siranossian suffiraient à donner ses lettres de noblesse à Duo Solo. Avouons que son impact se trouve démultiplié lorsque l'auditeur la découvre au terme de la trajectoire savamment organisée par notre jeune étoile.

 

Yutha Tep

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