Dossiers Musicologiques - Romantique

Verdi La Traviata

Verdi
Avec Le Trouvère et Rigoletto, La Traviata fait partie de ce qu’on appelle souvent la « trilogie populaire » de Giuseppe Verdi.
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Lorsque la Traviata est créée en 1853, Giuseppe Verdi a atteint sa pleine maturité artistique. En portant un regard critique sur la société de son temps, il livre l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre, dont le succès traversera les siècles.

La trame de La Traviata est basée sur l’histoire de Marie Duplessis, une courtisane qui fut un temps la maîtresse de Franz Liszt ou encore d’Alexandre Dumas fils. Après avoir connu le luxe et le train de vie de la société mondaine, elle mourut de la phtisie, sans le sou. L’écrivain susnommé s’inspira de leur liaison et de sa vie pour écrire La Dame aux camélias : Marie Duplessis est dépeinte sous les traits de Marguerite Gauthier et l’amoureux se prénomme Armand Duval (les initiales des personnes réelles ont ainsi été conservées). Une adaptation théâtrale fut tirée du roman et connut un succès retentissant sur scène en 1852. Verdi la découvrit lors d’un voyage à Paris. Il décida de faire de l’intrigue le sujet de son prochain opéra, commandé par le théâtre de Venise La Fenice. Marie Duplessis et Armand Duval allaient ainsi devenir Violetta Valéry et Alfredo Germont.

Peut-être que La Dame aux camélias faisait lointainement écho à la propre histoire de Verdi : il entretenait alors une liaison avec la cantatrice Giuseppina Strepponi (qui finirait par être sa seconde épouse). Elle n’était pas une courtisane mais les artistes étaient mal vus par la bourgeoisie. La société dans laquelle évoluait Verdi la jugeait facilement et la tenait à l’écart, la soupçonnant de mœurs trop légères, d’autant plus qu’elle n’était pas encore mariée au compositeur en ce temps-là. Celui-ci assumait pourtant son choix : « Je n’ai rien à cacher. Dans ma demeure vit une femme libre, indépendante, aimant comme moi la vie solitaire, disposant d’une fortune qui la met à l’abri du besoin. Ni elle, ni moi ne devons à qui que ce soit aucun compte pour nos actions. Qui est en droit de nous jeter la première pierre ? » Probable source d’inspiration pour Verdi, Giuseppina prit même part à l’élaboration de La Traviata en le conseillant sur le livret.

Peinture sociale

Avec La Traviata, Verdi parlait sans détour de sa propre époque et s’éloignait ainsi de la tradition consistant à placer les intrigues des opéras dans un cadre spatio-temporel lointain. À tel point que la censure imposa des modifications au livret de Francesco Maria Piave, notamment celle de transposer l’histoire au xviiie siècle. Mais ce changement ne parvint pas à camoufler la dimension contemporaine de l’œuvre : on y reconnait très bien le milieu bourgeois de l’époque de Verdi, son mode de vie et ses stéréotypes. La peinture de la « bonne société » n’est pas bien flatteuse, et Alfredo et son père paraissent bien lâches face à Violetta. C’est elle, la « demi-mondaine », qui rayonne au cœur de l’œuvre. Des réalités peu reluisantes sont directement évoquées : maladie, prostitution, toute-puissance de l’argent, hypocrisie et marginalisation sociale… De quoi scandaliser le public de l’époque.

La figure de la courtisane est très importante au xixe siècle, d’abord dans le paysage social mais aussi dans l’imaginaire collectif (elle est grandement présente dans la littérature européenne). Alors que la femme mariée représente la pureté, l’ordre et le devoir, la courtisane est son exact inverse. Elle incarne le désir et la liberté. Entretenue par ses protecteurs, elle mène une vie désordonnée faite de débauche et de fêtes. Comme toute courtisane, Violetta ne peut pas intégrer la société bourgeoise. Si elle la côtoie, elle n’en fait nullement partie. Elle ne peut espérer se marier avec Alfredo, et décide de se sacrifier pour un autre mariage que le sien : celui de la sœur de son amant. Cruelle réalité, c’est uniquement dans la mort qu’elle peut finalement trouver sa place dans cette société, en suscitant les remords du père et du fils et en devenant pour l’éternité le symbole du sacrifice par amour.

Au cœur de la partition

L’opéra de Verdi est organisé en trois actes qui parcourent toute la trajectoire de Violetta, de sa gloire à sa chute, en juxtaposant des contrastes forts comme l’atmosphère des fêtes, le drame amoureux et la réalité de la maladie. Il est construit autour des trois personnages principaux, les autres étant relégués à une place franchement secondaire : l’évolution psychologique de Violetta, Alfredo et son père est très lisible tout au long de l’œuvre.

L’ouvrage emprunte le chemin du vérisme même si Verdi ne fit pas directement partie de ce courant musical. Celui-ci connaitrait ses plus grandes heures entre la fin du xixe siècle et le début du xxe siècle en s’inspirant du naturalisme de la littérature française (avec par exemple I Pagliacci de Leoncavallo ou Cavalleria rusticana de Mascagni). La Traviata amorce ce courant en se focalisant avec un certain réalisme sur la société bourgeoise mais aussi par les nouvelles intentions musicales de Verdi : c’est désormais la justesse qui prime dans la peinture des sentiments. La virtuosité vocale est présente mais doit s’effacer face à l’expression de l’émotion. Certains effets voulus par l’écriture imitent les soupirs, les pleurs, la respiration saccadée de la malade…

Les plus grandes cantatrices de l’histoire ont voulu se frotter au rôle de Violetta par sa beauté musicale, son intensité théâtrale mais aussi par le challenge vocal qu’il représente. Dans le premier acte, l’écriture souligne l’éclat des fêtes et ses plaisirs : elle demande beaucoup d’agilité vocale et une aisance dans les aigus, comme peuvent en avoir les sopranos coloratures. Mais les second et troisième actes deviennent plus lyriques, plus dramatiques à la fois dans l’histoire et dans l’écriture, requérant une voix plus large, riche dans son registre medium.

L’orchestre de Verdi joue un rôle central. Loin de se contenter d’accompagner, il souligne les états émotionnels des personnages, dans les airs mais également dans les parties purement instrumentales. Certains thèmes reviennent régulièrement à des moments clés, ajoutant du sous-texte à ce qui se déroule sur scène. La danse occupe par ailleurs une place particulière, pour représenter les fêtes mondaines qui sont souvent la toile de fond de La Traviata. Verdi emploie des rythmes de polkas, de galops, de danses espagnoles (à l’acte II) ou encore de valses (la valse est notamment la base de l’un des passages les plus célèbres : « Libiamo ne' lieti calici »).

La Traviata fut créée le 6 mars 1853, mais ne trouva pas l’adhésion du public. On estime que les interprètes furent en grande partie responsables de cet échec : Verdi avait dû renoncer à confier le rôle principal aux sopranos qu’il avait en tête, en raison de leurs indisponibilités. Il avait reporté son choix sur Fanny Salvini-Donatelli, une soprano vocalement talentueuse mais qui ne parvint pas à convaincre le public dans son incarnation du personnage. Le ténor Lodovico Graziani qui jouait Alfredo dut quant à lui chanter alors qu’il était malade, ce qui diminua sans aucun doute la qualité de sa prestation. Il fallut attendre un an, lors de sa reprise à Venise, pour que l’œuvre connaisse enfin le succès qu’elle a encore aujourd’hui.

Élise Guignard

Repères

  • 10 octobre 1813

    naissance de Verdi à Roncole
  • 1839

    il rencontre la soprano Giuseppina Strepponi
  • 9 mars 1842

    création de Nabucco
  • 11 mars 1851

    création de Rigoletto
  • 19 janvier 1853

    création du Trouvère
  • 6 mars 1853

    création de La Traviata
  • 1861

    Verdi est élu député à l’Assemblée nationale italienne
  • 5 février 1887

    création d’Otello
  • 9 février 1893

    création de Falstaff (son dernier opéra)
  • 27 janvier 1901

    mort à Milan

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