Dossiers Musicologiques - Romantique

Brahms Requiem allemand

Brahms
La musique pour chœur de Johannes Brahms constitue, après les lieder, la partie la plus importante de son œuvre.
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Achevé en 1868, le Requiem Allemand culmine au centre de l'œuvre de Brahms. Loin de la liturgie latine, cette vaste composition d'une parfaite maîtrise exprime avec grandeur et émotion la détresse de l'homme devant son destin et son espérance dans la clémence divine.

En 1853, dans un essai visionnaire sur le jeune Brahms, alors âgé de vingt ans, Robert Schumann écrivit cette phrase prophétique : « Quand il touchera de sa baguette magique les masses du chœur et de l'orchestre, prêtes à lui apporter toute leur puissance, de merveilleux aperçus des secrets du monde spirituel nous seront délivrés. » La prophétie devait se réaliser, quinze ans plus tard, avec la création du Requiem allemand, qui rayonne au centre de l’œuvre de Brahms. La genèse de cette grande œuvre, qui occupa Brahms pendant de longues années, trouve son origine dans les événements douloureux de la vie du compositeur. Ce fut d'abord le destin tragique de Schumann lui-même, l'ami et le protecteur. Brahms aurait d'ailleurs découvert les esquisses d'un Requiem allemand dans les documents laissés par Schumann, après la mort de ce dernier en 1856. L'élément le plus ancien du Requiem allemand est le deuxième mouvement, aux accents de marche funèbre, qui provient d'une sonate pour deux pianos écrite en 1854, après la tentative de suicide de Schumann. Les deux premiers mouvements du Requiem furent achevés dans les grandes lignes en 1861. 

Mais ce fut surtout la disparition de la mère de Brahms, en février 1865, qui incita le compositeur à reprendre l'élaboration de son œuvre. Dès le mois d'avril, il mentionnait dans une lettre à Clara Schumann « un chœur... sorte de Requiem allemand. » Il écrivit le quatrième mouvement au printemps 1865. Il en ajouta trois autres (n° 3, 6 et 7) l'année suivante et la composition de l’œuvre, alors en six parties, fut achevée à l'été 1866. Clara eut la primeur des esquisses de la nouvelle œuvre : « Johannes m'a joué quelques splendides mouvements d'un Requiem qu'il compose. C'est plein d'idées à la fois tendres et audacieuses. » Les trois premiers mouvements furent donnés à Vienne le 1er décembre 1867, mais ce concert mal préparé fut un échec. La création de l'œuvre intégrale, alors en six mouvements, eut lieu sous la direction du compositeur, le Vendredi saint, 10 avril 1868, en la cathédrale de Brême, sous le regard ému de Clara Schumann : « En voyant Johannes tenir la baguette, je n'ai pu m'empêcher de penser à la prophétie de mon cher Robert, qui s'est réalisée aujourd'hui ». Le succès de cette première fut phénoménal. Mais dès le mois de mai, Brahms décida d'inclure dans son œuvre un morceau supplémentaire, comportant un solo de soprano, qui en devint le cinquième mouvement. La version dès lors définitive en sept mouvements fut créée le 18 février 1869 au Gewandhaus de Leipzig sous la direction de Karl Reinecke.

Une œuvre humaine

Par delà les évènements biographiques douloureux, le Requiem allemand est l'expression d'une conception tragique du monde, de l'âme et de la pensée de Brahms qui confia à sa musique sa tristesse profonde : « Je n'ai pas besoin de vous dire qu'intérieurement, je ne ris jamais ». Son œuvre est profondément subjective et humaine. Le titre est éloquent : l'emploi de l'article « Ein » traduit la subjectivité du propos. Brahms aurait, dit-on, volontiers remplacé l'adjectif « allemand » par « humain ». L'homme qui souffre est en effet au centre de l’œuvre, confiant cependant dans l'attente de la clémence divine. Le titre de Requiem est trompeur car l’œuvre n'a rien à voir avec la traditionnelle messe des morts en latin du culte catholique. Sans lien avec la liturgie, elle tire plutôt son origine dans les méditations religieuses de Bach ou de Schültz. Brahms en a élaboré lui même le texte à partir d'un choix personnel de textes bibliques traduits par Luther, principalement dans le Nouveau Testament. La prière des morts du culte catholique est ainsi remplacée par la consolation des vivants qui sont dans la peine. À la crainte du Jugement dernier, à l'effroi du Dies irae des pays latins, Brahms substitue sa confiance en la bonté divine et son attente de la Résurrection. Il affirme ainsi le particularisme germanique, en délivrant la prière humble et confiante des Allemands du Nord, farouches devant la mort. Dans cette conception, la mort devient quasiment douce et fraternelle et l'angoisse peut se résoudre dans une sorte de consolation maternelle. 

De la détresse à la consolation

Cette consolation est précisément apportée par la voix de femme dans le lumineux cinquième mouvement ajouté tardivement : « je vous consolerai comme une mère console son enfant ». Brahms avait sans doute compris la valeur symbolique du chiffre sept et perçu ce que son œuvre y gagnerait dans l'équilibre général de sa construction, par la symétrie qui s'établit entre les différentes parties. Ainsi, la cinquième partie consolatrice répond à la troisième, où l'homme exprime son angoisse devant le néant de son existence et implore désespérément le Seigneur : « Seigneur, que dois-je attendre ? Mon espérance est en toi. » Le deuxième mouvement, sorte de marche funèbre où l'humble humain à la vie éphémère est exhorté à la patience, appelle le monumental sixième qui lui apporte sa récompense, avec sa grandiose fugue finale à la gloire du Seigneur, où le baryton solo peut annoncer la Résurrection et la victoire sur la mort : « Alors la parole qui fut écrite sera accomplie : la mort est engloutie dans la victoire. » Enfin, la septième et dernière partie reprend en sa conclusion de nombreux éléments spirituels et thématiques de la première. Le quatrième mouvement porte alors l'essence de l'œuvre dont il devient la pierre angulaire, à la fois au niveau musical et spirituel. Le chœur y chante sur de douces harmonies les louanges de l'Eternel et le bonheur de ceux qui habitent sa demeure. « La mort, c'est la fraîche nuit. La vie, c'est le jour accablant » (Heine). Détresse et consolation représentent donc le fil conducteur de cette musique. Et si la couleur générale de l’œuvre est sombre, chaque mouvement se termine sur une note d'optimisme et d'espoir, dans l'attente de l'apaisement final. Sur le plan musical, à côté d'un travail thématique d'une souveraine maîtrise, l’œuvre nous frappe par l'équilibre de son architecture, la savante utilisation du contrepoint et la richesse de l'harmonie. Il faut souligner l'écriture savamment diversifiée du chœur, qui est constamment mis en avant et joue dans l'ensemble un rôle prédominant par rapport aux deux solistes. Les première, deuxième, quatrième et septième parties sont entièrement chorales. Le baryton solo dialogue avec le chœur dans les troisième et sixième mouvements. Le chœur passe au second plan seulement dans la lumineuse cinquième partie, où il fait écho au magnifique solo de soprano. La musique, qui au début de l’œuvre semble émerger du néant, peut à la fin retourner au silence duquel toute angoisse a disparu. Le même mot « selig », bienheureux, en est le trait d'union et conclut l’œuvre doucement, dans une atmosphère apaisée et sereine.

Pierre Verdier

Repères

  • 1833

    Naissance le 7 mai à Hambourg
  • 1843-53

    Formation avec Eduard Marxsen
  • 1853

    Rencontre Liszt, puis Schumann ; Sonates pour piano
  • 1858

    Concerto pour piano n° 1
  • 1862

    S'installe définitivement à Vienne
  • 1868

    Un Requiem allemand
  • 1869

    Rhapsodie pour contralto
  • 1876

    Symphonie n° 1
  • 1877

    Symphonie n° 2
  • 1878

    Concerto pour violon
  • 1879

    Deux Rhapsodies pour piano
  • 1881

    Concerto pour piano n° 2
  • 1883

    Symphonie n° 3
  • 1885

    Symphonie n° 4
  • 1887

    Sonate pour violon et piano n° 3 ; Double concerto pour violon et violoncelle
  • 1891

    Quintette pour clarinette et cordes
  • 1892

    Trois intermezzi pour piano
  • 1897

    Décès à Vienne le 3 avril

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